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mètres sur quatre est singulièrement rétréci par une quantité d’ordures de toute sorte. Il est facile de voir qu’on ne marche jamais dans ce souterrain ; on se couche, on dort à la place où l’on est tombé. Le mobilier se compose d’un très petit poêle en fonte dont le dessus est disposé de manière à servir de chaudron, de trois vases en terre, d’un escabeau et d’un bois de lit sans literie. Il n’y a ni paille ni couverture. La femme qui loge au fond de cette cave n’en sort jamais, elle a soixante-trois ans ; le mari n’est pas ouvrier ; ils ont deux filles, dont l’aînée a vingt-deux ans. Ces quatre personnes demeurent ensemble et n’ont pas d’autre domicile.

Cette cave est une des plus misérables, d’abord par l’extrême malpropreté et l’extrême dénûment de ceux qui l’habitent, ensuite par ses dimensions ; la plupart des caves ont un ou deux mètres de plus. Ces souterrains servent de logement à toute une famille ; par conséquent, le père, la mère, les enfans couchent dans le même local et trop souvent, quel que soit leur âge, dans le même lit. Le plus grand nombre de ces malheureux ne trouvent plus aucun inconvénient à la confusion des sexes. S’il en résulte un inceste, ils ne le cachent pas, ils n’en rougissent pas ; à peine savent-ils que le reste des hommes ont d’autres mœurs. Quelques caves sont partagées en deux par une arcade, ce qui permettrait une séparation qu’en général les habitans de ces logis souterrains n’établissent pas. Il est vrai que la plupart du temps l’arrière-cave est entièrement obscure ; l’air y est plus rare, l’odeur plus infecte. Dans quelques-unes, l’eau ruisselle sur les murs ; d’autres sont voisines d’un égout et empestées de vapeurs méphitiques, surtout en été.

La commission des logemens insalubres, qui fonctionne à Lille avec une louable énergie, a marqué plusieurs de ces caves pour être détruites ; mais on est bien obligé de les tolérer provisoirement, parce que les familles qui les habitent ne sauraient où se loger. L’avantage ne serait pas fort grand pour elles, si, en quittant leurs maisons souterraines, elles étaient contraintes de se réfugier dans les anciennes courettes de Lille. Ces courettes sont des labyrinthes formés de longues ruelles qui débouchent les unes dans les autres et sont toutes bordées de vieilles et chétives maisons, mal bâties, mal élevées, mal fermées, où les familles d’ouvriers s’entassent. On ne peut passer qu’un à un dans ces ruelles, on y marche dans les immondices. Toutes les maisons y répandent une odeur infecte à cause des lieux d’aisance placés au bas des escaliers, et qui pour la plupart ne ferment pas. Un ménage occupe rarement plus d’une seule chambre, et on la lui fait payer de 1 fr.25 cent, à 2 fr. par semaine. Les fenêtres sont en nombre insuffisant et ne donnent passage qu’à un air déjà vicié, Dans beaucoup de maisons, elles ne sont