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Quand on sort de la lecture d’Hawthorne, on éprouve pour l’âme cette estime particulière, cette opinion rare et cette déférence marquée que nous éprouvons dans le monde pour certaines personnes que nous distinguons sans les aimer, et que notre esprit trie du commun des mortels. Elle nous apparaît maladive, sujette à toute sorte de rhumatismes moraux et de névralgies spirituelles, mais intéressante par cela même. Hawthorne a fait une découverte psychologique assez importante, c’est que la sensibilité est la fonction dominante de l’âme, celle qui commande toutes les autres fonctions et domine tous les organes moraux. L’état nerveux est l’état permanent de l’âme ; sa sensibilité défie toute comparaison. Un rien la blesse et la trouble ; l’appréhension la plus légère détruit tout son calme et tout son bonheur ; un reproche indifférent la remplit de tristesse ; l’ombre d’une pensée coupable ternit sa candeur ; la fantasmagorie d’un mauvais rêve la torture comme un malheur réel. Les variations inappréciables de l’atmosphère morale qui l’entourent la font vibrer comme l’aiguille aimantée. En contemplant cette sensibilité excessive, on apprécie l’avantage d’avoir un corps, et l’on n’a plus envie de le traiter de guenille et de vêtement incommode. Ce corps n’est plus un embarras, c’est une protection et un rempart pour l’âme. On se sent heureux et rassuré en pensant que nos sentimens, nos idées et nos impressions auront à traverser l’épaisseur de notre chair, et n’arriveront à l’âme qu’émoussés en quelque sorte, et après avoir perdu dans le trajet leur première vivacité. En même temps on l’absout en partie de toutes les fautes et de tous les vices dont on s’était trop hâté de l’accuser. Comment cette substance fine, délicate et susceptible pourrait-elle résister à la maladie et au désordre ? Point n’est besoin de lourds péchés pour l’écraser et la tuer ; une piqûre suffit, une légère infiltration, un grain de poussière, et tout est fini. Quand donc nous disons que l’âme est malade, gardons-nous de croire qu’elle est en proie à quelque infirmité hideuse, à quelque remords accablant, à quelque habitude de crime et de péché. Si Hawthorne ne nous avait montré que les monstres bien connus du péché et du remords, il n’aurait fait aucune découverte, et aurait répété sous une forme plus ou moins heureuse ce que les psychologues ont constaté depuis que les hommes ont commencé à penser. Sa découverte consiste en ceci : qu’il n’y a pas de petites choses pour l’âme, parce qu’elle ne juge pas les choses d’après leurs proportions matérielles ou leur volume, et qu’elle les conçoit beaucoup moins d’après leur expression extérieure que d’après leur essence pure. Ainsi, comme elle ne conçoit pas le crime d’après l’acte extérieur qui le manifeste, mais d’après l’idée dont cet acte n’est que la représentation, la pensée du crime équivaut pour elle au crime lui-même. Il fait donc passer sur l’âme des ombres légères, et ces