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authentique ou non, l’éditeur n’était pas dispensé d’avoir du goût. Si la publication de ces lettres diminue un peu, sans profit pour personne et sans intérêt pour l’histoire, la figure si respectée d’Alexandre de Humboldt, était-ce à une personne amie de livrer de tels documens à la foule avec une si singulière impatience ?

Nous regrettons d’avoir à le dire, des motifs personnels et un peu mesquins paraissent avoir caché à l’éditeur responsable de cette publication tous les inconvéniens qui en devaient résulter pour une mémoire illustre. Mlle Ludmila Assing, fille de Mme Rosa-Maria Assing, laquelle était sœur de Varnhagen d’Ense, est une personne spirituelle, instruite, amie des arts, et qui, maniant le crayon avec grâce, a eu l’ambition de se faire un nom dans les lettres. Depuis la mort de sa mère, elle a quitté Hambourg, sa ville natale, et, vivant auprès de son oncle, dans la société la plus littéraire de Berlin, la pensée lui est venue de continuer les traditions de sa famille. À l’exemple de Varnhagen, c’est surtout l’histoire de la société allemande qui éveilla sa curiosité studieuse. Elle débuta en 1857 par un livre intitulé la Comtesse Élisa d’Ahlefeldt, l’Épouse d’Adolphe de Lützow, l’Amie de Charles Immermann[1]. Mlle Assing avait eu entre les mains les documens les plus curieux sur un poétique et touchant épisode de l’histoire intellectuelle de son pays. On ne saurait dire qu’elle en ait habilement profité : ce livre est écrit sans art ; mais le sujet est si attachant, les personnages sont si dignes de sympathie, leurs lettres inédites si pleines de dramatiques révélations, que la critique n’eut qu’à remercier l’auteur, sauf à refaire elle-même un tableau compromis par une plume novice. Le second ouvrage de Mlle Assing, loin de marquer un progrès, révélait malheureusement la faiblesse de son inspiration. L’auteur s’était proposé une étude sur une femme d’esprit, l’amie du poète Wieland, qui a joué un certain rôle dans la société du XVIIIe siècle ; malheureusement la destinée de Sophie Laroche est bien loin d’offrir le poétique intérêt qui s’attache aux aventures de la comtesse d’Ahlefeldt. Réduite à ses seules ressources, Mlle Assing écrivit un livre ennuyeux. J’ignore ce qu’en pensait Humboldt, mais on sait aujourd’hui ce qu’il en disait à Mlle Assing. Le bon vieillard, à l’occasion de ces deux livres, combla de si vifs éloges la nièce de son ami, que celle-ci ne put résister au désir d’initier le public à sa joie. S’il n’y avait ici un peu de vanité féminine, la correspondance de Humboldt et de Varnhagen aurait-elle vu le jour si promptement ? Je livre cette pensée aux loyales méditations de l’éditeur. Pour nous, en un sujet si délicat, nous devions exposer les circonstances qui ont accompagné cette publication,

  1. Voyez, sur la Comtesse d’Ahlefeldt, la Revue du 15 avril 1858.