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afin d’en faire sortir, s’il est possible, la complète justification de l’auteur du Cosmos. Notre conclusion la plus indulgente, c’est que Mlle Ludmila Assing n’a pas montré, il s’en faut bien, la prudence littéraire qu’on devait attendre d’une jeune femme élevée à l’école du discret Varnhagen. Pour le plaisir de publier trop tôt, et sans choix, un petit nombre de lettres intéressantes, n’a-t-elle pas nui à Humboldt, à Varnhagen, à elle-même ? N’a-t-elle pas exposé Alexandre de Humboldt à être accusé d’ingratitude envers les princes ses bienfaiteurs ? N’a-t-elle pas mis à nu, sans paraître s’en douter, toutes les petitesses d’esprit qui s’alliaient chez Varnhagen à un incontestable talent ? Ce petit nombre de pages intéressantes que je signalais tout à l’heure, dégageons-les nous-mêmes ; parmi les deux cent vingt-cinq lettres de ce recueil, choisissons celles dont l’histoire littéraire ou politique peut tirer quelque profit. Si les petites misères de deux esprits d’élite se révèlent à nous dans cette étude, Mlle Assing en sera seule responsable.

La correspondance d’Alexandre de Humboldt avec Varnhagen d’Ense, qui commence le 25 septembre 1827, est assez peu active dans les premières années. La principale occasion des lettres qu’ils échangent, ce sont les écrits de Varnhagen et le grand ouvrage que Humboldt prépare avec un soin religieux. Depuis la publication de ses Monwnens biographiques en 1824, Varnhagen s’était placé à un rang élevé parmi les écrivains de l’Allemagne ; au moment où la génération des maîtres s’effaçait de plus en plus, lorsque Gœthe, à Weimar, représentait seul cette période glorieuse, Varnhagen, témoin de cet âge évanoui, ami des philosophes et des poètes, maintenait encore cette tradition, que ses souvenirs allaient faire revivre. Un rapprochement tout naturel devait s’établir entre le savant et l’homme de lettres. En recherchant l’amitié de Varnhagen, Alexandre de Humboldt, avec sa finesse consommée, s’adressait à la fois à l’écrivain habile et à l’historien de l’esprit germanique pendant le demi-siècle qui venait de s’écouler. Quand il lui demandait conseil pour ses écrits, n’était-ce pas une manière de fournir des notes à un futur panégyriste ? Les éloges assurément ne pouvaient manquer à un tel homme ; mais tous les éloges n’ont pas le même prix, et ce n’était pas chose indifférente pour Humboldt d’avoir sa place assurée dans la galerie de Varnhagen. Les premiers billets des deux amis sont donc spécialement littéraires. C’était l’année où Humboldt faisait un cours sur la physique du globe et y traçait l’ébauche de son Cosmos. À cette époque décisive de sa carrière, l’appui de Varnhagen, le dévouement de l’homme qu’il appelait sans cesse l’unique soutien des lettres allemandes, était pour lui, si je l’ose dire, une nécessité de situation. Et quoi de plus facile à conquérir que ce dé-