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et la population du royaume était descendue à moins de six millions d’âmes. Le dénûment était partout et contrastait avec le luxe de quelques favoris. Un jour les habitans de Madrid affamés firent comparaître Charles II, tremblant et blême, au balcon de son palais en lui demandant du pain ; tout ce que put faire le roi fut de sauver de la fureur populaire son favori, le comte d’Oropesa, et de l’envoyer en exil.

Tout marchait donc du même pas, la nation et le roi, qui mourait lentement sans héritier. Les derniers temps de la vie de Charles II furent un véritable drame où toutes les influences se disputaient cette âme infirme pour lui arracher la désignation d’un successeur. D’un côté était le parti autrichien, puissant d’abord, servi par le confesseur, le père Matilla, poussé et soutenu par la reine ; de l’autre, le parti français représenté par l’archevêque de Tolède, le cardinal Portocarrero, homme de médiocre esprit, mais d’une certaine habileté à conduire ces intrigues. Ce fut une vraie lutte de prêtres dont le prix était la succession d’un royaume en déshérence. Charles II mourut, on le sait, laissant l’Espagne à la France, et signant d’une main à demi glacée déjà la déchéance de sa maison. Il n’y a pas dans l’histoire de figure plus ingrate que celle de ce malheureux prince tourmenté de son impuissance, assailli de fantômes, et il n’en est pas qui représente mieux le déclin d’une race royale dont le règne s’ouvre par la hautaine figure de Charles-Quint.

Singulière destinée de cette maison de Habsbourg, puissante assurément dans le monde par son poids, par ses traditions historiques, par cette idée même d’équilibre dont elle est la vivante personnification, et dont la faiblesse est de ne pouvoir vivre que par un artifice permanent, par la dépression successive de quelque intérêt national ! Pour la Péninsule, son passage fut la décadence enfermée entre deux dates précises ; de là ce mot d’une vérité piquante : « Le règne de la maison de Habsbourg est une parenthèse dans l’histoire d’Espagne. « Seulement au bout de la parenthèse le peuple espagnol avait perdu le fil de sa destinée. Alors intervient la France, le testament de Charles II à la main, et c’est la fortune étrange de l’Espagne, après avoir troublé l’Europe de son activité belliqueuse, de ses velléités dominatrices, d’enflammer encore par son impuissance la guerre de toutes les ambitions rivales qui éclatent à la fois le {{1er novembre 1700 autour de la dépouille à peine refroidie de Charles II.


II

Ce fut là en effet le caractère de la guerre de la succession d’Espagne. L’Autriche revendique la couronne espagnole comme un