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qui semble se passer dans l’âme de ces premiers Bourbons ; c’est la lutte mystérieuse de l’esprit français et du sombre esprit espagnol, et cette lutte vient se résoudre pour les princes en une sorte d’hypocondrie. On dirait qu’en passant les Pyrénées ils se sentent oppressés et égarés dans une atmosphère pleine de subtiles influences. Philippe V avait eu pourtant un beau moment lorsqu’il répondait fièrement à Louis XIV qu’il périrait l’épée à la main, et il avait reçu des Espagnols ce nom sonnant comme un éclat de guerre, le Courageux, — el Animoso. Bientôt son esprit s’assombrit. Il négligeait la propreté de sa personne et allait à la pêche à deux heures de la nuit. Un instant il abdique en faveur de son fils, don Luis, et il se retire à la Granja, se consumant dans la dévotion, passant son temps à prier ou chassant dans les bois de Balsain ; puis, quelques mois à peine écoulés, l’infant don Luis meurt, et Philippe se rejette sur la couronne, poussé et dominé par sa seconde femme, Elisabeth Farnèse, la violente et passionnée Italienne qu’il aimait avec la fureur d’un homme chaste. Rien ne pouvait distraire sa mélancolie, si ce n’est quelquefois le chant harmonieux du musicien Farinelli ou le spectacle des beaux jardins, des élégantes fontaines qu’il avait fait construire à Saint-Ildephonse, ce Versailles assis au pied des monts, à quelques heures du sévère et aride Escurial, où se reflète l’esprit de Philippe II. C’étaient deux siècles, deux dynasties dans deux monumens. Le second Bourbon, Ferdinand VI, était atteint du même mal de mélancolie, et il y était entretenu par la reine Barbara de Bragance, femme d’un esprit simple, qui n’avait pas l’ambition d’Elisabeth Farnèse, et qui craignait toujours de tomber dans le besoin. Roi et reine n’aspiraient qu’à vivre tranquilles, à se retirer des conflits européens, faisant d’ailleurs le bien du pays, et à peine distraits de leur humeur morose par les splendides représentations théâtrales du Buen-Retiro. Quand Ferdinand VI devint veuf, il se mit aussitôt à craindre la mort, et il la craignit si bien qu’il mourut de peur, refusant tout, alimens, remèdes, jusqu’aux soins les plus simples. Hommes et choses, princes et nation lentement renaissante, ce fut là le prologue de ce règne de Charles III dont M. Ferrer del Rio s’est fait le chaleureux et sympathique historien, et où se concentre dans son éclat l’action rénovatrice de la politique inaugurée par un changement de dynastie au commencement du siècle.

Le moment le plus brillant de ce XVIIIe siècle espagnol en effet est dans ce règne, le premier qui réponde dans une certaine mesuré aux grandeurs évanouies du temps de Charles-Quint. C’est le moment où, sous la conduite d’un roi qui ambitionnait le nom de sage, s’élèvent des ministres tels que Florida-Blanca, Aranda, Campomanè