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même en face des défauts opposés, et aussi par une faculté de généralisation qui me permet de planer, si ce terme ambitieux m’est permis, au-dessus de l’observation scientifique. Un livre consacré, à la nature doit produire la même impression que la nature elle-même ; mais ce à quoi j’ai visé tout particulièrement, comme dans mes Tableaux de la nature, ce qui établit une différence absolue entre ma manière et celle de Forster et de Chateaubriand, c’est que dans mes descriptions, dans mes paysages, j’ai toujours cherché à être vrai, je dis vrai même scientifiquement, sans entrer pour cela dans les arides régions de la science pure. »


Il est fâcheux que nous n’ayons pas les conseils donnés par Varnhagen à Humboldt, car ce qui concerne les grands travaux du savant est en définitive ce qu’il y a de plus intéressant et de plus durable dans cette correspondance. On voit bien ici avec quelle précipitation très peu scientifique et littéraire cette publication a été faite. Les éditeurs qui nous ont donné les lettres de Gœthe et de Schiller, de Gœthe et de Knebel, de Schiller et de Koerner, de Schiller et de Guillaume de Humboldt, ont compris autrement leur devoir. Nous avons les demandes et les réponses ; introduits dans l’atelier des artistes, nous voyons les procédés qu’ils emploient. Rien de plus instructif que cet échange d’idées entre des esprits supérieurs. Si Mlle Assing s’était donné le temps de recueillir les lettres de son oncle à Alexandre de Humboldt, elle aurait pu nous donner un livre attrayant et utile au lieu d’une compilation indigeste. Cherchons encore dans ce pêle-mêle, et détachons-en-les pages qui méritent d’être sauvées. Nous n’avons pas fini avec le Cosmos : à la lettre que nous venons de citer, Varnhagen s’empresse de répondre, sans doute avec mille cérémonies et complimens de cour selon son ordinaire : « L’expression de mon affectueuse confiance, lui écrit Humboldt, vous a rendu trop indulgent et trop louangeur. » Malgré les cérémonies de Varnhagen, ses lettres contenaient de fines remarques littéraires, et Humboldt en profita dix-neuf fois sur vingt. L’ouvrage cependant allait s’allongeant toujours sous la plume de l’illustre maître. Comment se résoudre à sacrifier tant de richesses de détail ? Comment ne pas ajourner de mois en mois et d’année en année la publication d’une œuvre monumentale qui devait reproduire le tableau même de la création ? Ce Cosmos, dont les premières feuilles avaient été imprimées au mois d’octobre 1834, n’était destiné à paraître que plus de dix ans après. Voici une lettre du 28 avril 1841 où Humboldt explique de nouveau à Varnhagen la composition de son livre. Elle contient de curieux renseignemens sur cette philosophie de la nature, sur cette construction à priori des sciences naturelles que Hegel et Schelling avaient mise à la mode :


« Soyez tout amical et indulgent en lisant ces pages. Je désire que vous