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invoque davantage les textes, la tradition, les argumens théologiques, et pourtant, en somme, ses plus grands développemens, sa plus forte démonstration, sont aussi puisés à l’autre source, à celle des considérations humaines et pratiques. Quant au dogme, tous deux lui cherchent une justification extérieure à l’église. Pour Joseph de Maistre, l’organisation, il ne craint pas de le dire, est plus importante à maintenir que le dogme même ; celui-ci est présenté comme l’expression de certaines lois du monde moral et de l’histoire, expression qui peut, qui doit devenir plus claire, et passer peut-être en partie, comme a fait le judaïsme sous l’interprétation de saint Paul, du sens littéral au sens figuré. Lamennais, prêtre, est plus réservé, conserve mieux le mystère, se tient plus uni à la révélation expresse, et pourtant, comme il trouve, d’après Bonald, le premier texte de cette révélation dans le don primitif du langage, comme il lui donne pour interprète légitime la raison générale, il arrive aussi bien que de Maistre à concevoir le christianisme comme un simple développement ou une exposition plus claire et plus complète des croyances du genre humain. Joseph de Maistre n’a nulle prétention à la méthode régulière qui permet d’apprécier les liaisons d’un système, et c’est ce qui le rend en certains sujets si difficile à saisir, à analyser, à dégager de ses mélanges ; en revanche, il a le jet, l’éclat, le mouvement, les mots vifs et pleins qui pénètrent et qui restent ; il aime à provoquer par le paradoxe, plus curieux d’étourdir que de persuader ; ses idées les plus hardies jaillissent çà et là détachées, et, comme un semeur, il les jette au passage sans regarder derrière lui. Lamennais, moins spontané, moins inventif, crée peu, s’ingénie à élaborer un ensemble d’idées qui n’ont déjà plus leur primeur, entre plus gravement dans son sujet, agence les raisons, s’étend, amplifie, quelquefois déclame, plus souvent subtilise l’abstraction et gravit un raide sentier de logique étroite et absolue. C’est pour cela, que, si Joseph de Maistre fut l’initiateur, Lamennais seul fit éclater le mouvement, le propagea et forma un véritable parti.

Joseph de Maistre en effet, même depuis la publication du Pape, n’avait point exercé une influence sensible ni obtenu une autorité sérieuse sur les esprits les plus graves et les plus clairvoyans du clergé. Il avait été, ainsi que Bonald, Chateaubriand et les autres apologistes laïques, qui parlaient au nouveau siècle une nouvelle langue religieuse, plutôt toléré qu’approuvé. Les théologiens en défiance, ne reconnaissant point dans les propositions de ces docteurs du dehors ce qu’ils avaient eux-mêmes appris dans l’école, les laissaient seulement passer comme des auxiliaires momentanément utiles, mais peu sûrs. C’est pourquoi, lorsqu’on entendit un prêtre é