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mes esquisses, Irving, perché sur quelque barrière ou assis sur quelque pierre, poursuivait avec ardeur son « gros gentleman. » Il écrivait avec une incroyable rapidité, riant parfois aux idées qui lui venaient, et de temps à autre me lisant quelque portion de son manuscrit. Nous explorâmes pendant quelques jours ces lieux consacrés par des souvenirs classiques, visitant Warwick, Kenilworth, etc., et lorsque nous arrivâmes à Birmingham, le croquis de the Stout Gentleman était parachevé. Il y ajouta, pendant notre séjour à Birmingham, l’amusant épisode des modernes chevaliers errans, et l’inimitable tableau d’une cour d’auberge pendant la pluie fut pris d’après une hôtellerie de Derby, où, quelques jours après, nous avions établi nos quartiers. »


Parmi les noms inscrits, à Stratford, sur un grand album que Washington Irving lui-même avait donné, dans une tournée antérieure, à la gardienne de la maison de Shakspeare (afin d’obvier à l’étrange manie qui poussait chaque pèlerin à barbouiller de son nom les murailles de cette espèce de sanctuaire), nos deux amis trouvèrent celui de sir Walter Scott. Le slieconnaissait déjà le célèbre romancier, à qui Washington Irving avait voulu le présenter lui-même (en juin 1820), et leurs rapports avaient commencé sous les plus favorables auspices. Walter Scott comprit qu’il avait dans ce jeune Américain, d’origine écossaise, un admirateur intelligent et sincère. Il déploya pour lui ce charme de causerie facile et gaie qui le caractérisait. Après avoir été son hôte à Londres, Leslie devait, quatre années plus tard, le retrouver dans son manoir princier d’Abbotsford. À ce moment, le jeune peintre avait franchi les premiers obstacles de sa carrière : il ne songeait plus à retourner en Amérique. Lié avec Constable, — qu’il ne comprenait pas encore, il l’avoue, mais dont il a été depuis le panégyriste intelligent et le biographe zélé, — avec Wilkie, avec Collins, avec Flaxman, avec Chantrey, avec Lawrence, Turner, Smirke et les Chalon, il avait été élu (novembre 1821) membre associé de l’Académie royale. C’étaient en quelque sorte ses lettres de grande naturalisation, et il redevenait Anglais de par ce nouveau baptême. Enfin il avait trouvé, dans les rangs de l’aristocratie, un de ces généreux patronages qui sont en Angleterre la condition presque indispensable d’une grande existence d’artiste.

George, comte d’Egremont, représentait alors la noble race des Percy (Northumberland). C’est le même qu’Horace Walpole, dans ses lettres à sir Horace Mann, désigne comme « un jeune mauvais sujet » (a most worthless young fellow). Il est donc clair qu’il n’était plus jeune en 1823[1] ; mais il avait conservé une grande activité de

  1. Il avait soixante-douze ans, étant né en 1151. Cette date résulte pour nous de l’inscription placée par lui en 1837, dans la chapelle de Petworth, sur le monument érigé par ses soins aux [2-9]e, 10e et 11e comtes de Northumberland. Il s’y déclare âgé de quatre-vingt-six ans. Quant à la mention désobligeante d’Horace Walpole, Leslie l’explique fort bien par la rupture du mariage projeté entre lord Egremont et lady Maria Waldegrave, seconde fille de la duchesse de Glocester. Lady Maria était la nièce de Walpole, qui tout naturellement prit en main sa cause. Le refus pourtant venait d’elle, et parait avoir eu pour cause l’absence de petits soins, d’adorations, de simagrées romanesques enfin, qu’elle reprochait à son fiancé.