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procurerait un magnifique développement ; mais c’est là une situation transitoire que le gouvernement s’empressera de réformer aussitôt que les circonstances le lui permettront. L’opinion du gouvernement à cet égard s’est fait jour dans plusieurs documens officiels, et je ne doute pas que si les premiers travaux du canal, ou seulement l’ouverture du transit, amenaient un courant d’émigration dans le Sarapiqui et fournissaient de nouveaux alimens à l’administration des douanes, on ne profitât de cette occasion pour affranchir la production agricole des rares entraves qui la gênent encore.

Tel est le peuple qui, menacé un jour dans son indépendance, dans sa religion, dans la sécurité de son foyer, s’est levé tout entier à la voix de son premier magistrat, qui, sans canons, sans matériel de guerre, sans approvisionnemens, sans organisation préalable, avec des généraux improvisés et des soldats de milice, s’est précipité hors de son territoire au-devant des bandes victorieuses de Walker, et a commencé à Rivas, le 11 avril 1856, cette série de difficiles triomphes couronnés un an après, dans cette même ville de Rivas, par la capitulation de Walker et par l’expulsion de ses complices. La première fois que j’entrai dans la salle du congrès, où ce généreux mouvement avait reçu force légale, je fus frappé d’une véritable émotion. L’enceinte, vaste parallélogramme blanc et or, décoré d’un trône de velours, était digne d’avoir servi de théâtre à cette manifestation. C’est au pied de ce trône que, le 27 février 1856, convoqués d’urgence par M. Mora, les douze membres de la législature mirent en délibération la guerre contre Walker, c’est-à-dire le sacrifice de toutes leurs affections et de tous leurs intérêts pour la défense de la patrie commune. La foule, pressée et immobile derrière ces douze arbitres de son sort, attendait leur réponse. On ne discuta pas le principe, le sentiment national l’avait voté d’avance, on ne s’occupa que des moyens. Enfin un député proposa de décerner simplement la dictature temporaire à don Juan Rafaël Mora. Toute la salle, debout, applaudit à cette solution, et lorsque le congrès unanime eut formulé le décret libérateur qui mettait toutes les forces du pays à la disposition du pouvoir exécutif pour chasser les flibustiers de toute l’Amérique centrale, une immense acclamation apprit à la ville de San-José que l’heure de l’héroïsme était venue. Dès le lendemain, le canon appelait la république aux armes, et en quelques jours ce signal rassemblait trois mille hommes, parmi lesquels figuraient l’élite de la jeunesse costa-ricaine et jusqu’à des magistrats descendus de leur siège. Il devait rester sept cents de ces volontaires sur le champ de bataille de Rivas[1].

  1. Un détail caractéristique de l’énergie morale déployée en cette occasion par toutes les classes de la population, c’est que des trois mille volontaires partis de San-José, il ne manqua que deux hommes, dont l’un encore était malade, au rendez-vous de la première bataille, quatre-vingts lieues plus loin. C’est peut-être un fait unique dans l’histoire des marches militaires.