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a laissées est le témoignage de la stérilité d’une trop grande centralisation administrative. Quand nos pères posaient la première pierre d’un monument, ils le concevaient librement, se laissaient aller à des idées de grandeur, de beauté, parfois à des fantaisies, et la génération qui commençait l’entreprise en léguait avec confiance la continuation à l’avenir. La perspective d’un but élevé faisait jusqu’à des martyrs ; le dévouement de la jeunesse, les legs des mourans, venaient en aide aux efforts de la communauté. C’est ainsi que se sont élevés tant de monumens qui sont la gloire de nos provinces. Le nivellement de nos institutions ne laisse plus de place à de semblables efforts ; et l’on s’en aperçoit à la sécheresse de l’architecture contemporaine.

Pont-Audemer est à 10 kilomètres de la Seine, et l’on descend de la Risle à Honfleur en côtoyant les falaises que couronne le phare de Fatouville, puis l’anse envasée de Fiquefleur et de Saint-Sauveur. Cette échancrure a pour rivage une conque verdoyante dont le replis le plus frais porte le nom de val des Anglais. Il le doit à la sépulture qu’y trouva un corps de fourrageurs que les habitans d’Honfleur, expulsés de leurs demeures pendant l’occupation de 1346, surprirent en cet endroit. Un seul homme leur échappa. Fiquefleur comptait au XIIe siècle comme port de pêche côtière ; il avait même des nefs, car il en perdit une au grand désastre de L’Écluse, en 1340. Il n’est plus atteint par la mer que dans les marées d’équinoxe, et ne possède plus un seul canot.

On ne sait rien de précis sur la fondation d’Honfleur ; mais les traces que le sol conserve de son état primitif montrent dans la petite plaine qui s’enfonce, au débouché du vallon de la Claire, entre le mont Vassal et la côte de Grâce, une anse que remplissaient, dans des temps reculés, les eaux de la Seine. Le courant de sable et de vase qui côtoie cette anse y a formé des atterrissemens ; trop faibles pour les chasser, les eaux de la Claire ont néanmoins été assez abondantes pour maintenir en arrière un petit havre. Cet abri était enveloppé dans des forêts dont celle de Touques est le reste. Avec le voisinage des bois et le contact de la mer, Honfleur a dû commencer par un chantier de constructions navales, et depuis que la ville a une histoire, cette industrie n’a pas cessé d’y être florissante. La chapelle de Notre-Dame-de-Grâce, élevée en 1036 sur un de ces caps protecteurs que les navigateurs normands aimaient à placer sous l’invocation des saints, témoigne que l’anse était dès lors fréquentée ; elle ne devait pourtant receler en 1066 qu’une obscure bourgade, puisqu’il n’en est pas mention dans l’état des navires que le bâtard de Normandie conduisit à la conquête de l’Angleterre. Dans le siècle suivant, la bourgade devint ville. En 1204, elle ouvrait,