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prussiens ont répondu à l’Autriche : « La publication même dont vous vous armez contre nous prouve la vitalité de l’esprit libéral dans notre pays. Ce livre, si hostile à la Prusse, si injurieux pour la société berlinoise, c’est à Berlin qu’il a été prépare, et la personne qui en a rassemblé les pages n’a pas cru devoir quitter la ville ; malgré tant de moqueries contre le roi, aujourd’hui malade et mourant, contre sa famille, ses amis, ses confidens, ses ministres, c’est à Berlin que l’ouvrage s’est librement répandu par milliers d’exemplaires avant d’inonder l’Allemagne. » Ces réflexions suffisent en effet à protéger l’honneur de la Prusse ; quant à l’honneur du savant illustre, du dernier survivant de la grande génération allemande, il n’y a qu’une réponse à faire, et nous l’avons formulée d’avance en disant : non, ces lettres n’étaient pas destinées à voir le jour. Ce sont des boutades, des accès d’humeur, des cris incohérens, tout au plus sent-ce des notes d’où l’art ingénieux de Varnhagen aurait pu extraire quelques pages sans compromettre la renommée de son ami. Qui peut se vanter de n’avoir jamais laissé échapper une parole dont la publication solennelle le couvrirait de confusion et le remplirait de douleur ? Si donc nous sommes en droit de prononcer un verdict d’acquittement sur Alexandre de Humboldt, nous sommes obligés de condamner Mlle Ludmila Assing. C’est à cette conclusion que s’est arrêté un critique intelligent et loyal, M. Julien Schmidt, lorsqu’il s’écrie : « Dieu nous préserve d’avoir jamais des nièces qui s’avisent de publier nos lettres à tort et à travers ! »

Pour nous, en ces délicates questions, sommes-nous parvenu à garder la mesure du vrai ? Avons-nous su extraire de ce volume les seules pages qui méritassent d’être conservées ? Avons-nous réussi à montrer les petitesses de l’homme sans diminuer les titres du savant ? Est-il bien clair pour tous que Mlle Assing, sans intention mauvaise, par vanité, par une activité brouillonne, incapable de résister à sa démangeaison d’écrire et de paraître, a failli compromettre le grand nom dont elle a ainsi abusé ? Nous ne voulions rien de plus, notre tâche est finie. Et maintenant oublions ce triste épisode, jetons au feu les deux tiers de ces lettres si maladroitement rassemblées ; surtout, pour effacer les impressions fâcheuses, relisons bien vite le second volume du Cosmos et les Tableaux de la Nature.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.