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mais si l’on supprimait les écluses, plus coûteuses qu’utiles, du projet de M. Cachin, si la liberté de la nouvelle Risle était complète, la navigation de Pont-Audemer serait, sur une moindre échelle, dans les mêmes conditions que celle de Rouen, et, ce qui n’est peut-être pas indifférent, les rivages de Saint-Sauveur et de Fiquefleur recouvreraient la vie, le mouvement dont ils jouissaient au moyen âge. Tandis que ces graves questions sommeillent, les débouchés du port d’Honfleur s’élargissent du côté de la terre. Il ne s’agit pas, comme en 1784, d’ouvrir un autre Cours d’Orléans, longue avenue ombragée dont la somptueuse utilité recommande aussi dans le pays la mémoire de M. Cachin. Le chemin de fer embranché à Lisieux sur celui de Paris à Cherbourg, et pénétrant par Mézidon, Alençon et Le Mans jusqu’aux bords de la Loire, s’avance vers Honfleur, et dans le silence des nuits la ville entend les détonations des mines qui, pour le faire arriver à elle, percent le long souterrain d’Ablon. Honfleur va donc être sur la Seine le port de trois riches départemens agricoles, et ce sera la faute des habitans s’il ne réalise pas les prévisions du grand cardinal, qui, n’y voyant pas, en 1638, les élémens d’un port militaire, comptait sur le pays qu’il dessert pour fournir à la marine de la Manche d’inépuisables approvisionnemens.

La conque verdoyante au fond de laquelle est assis Honfleur rappelle en petit la conque d’or de Palerme ; seulement les pommes y tiennent lieu d’oranges, et elle n’a point le ciel bleu de la Méditerranée : on n’en quitte pas moins avec regret son paysage frais et souriant, et ce belvédère ombragé de Notre-Dame-de-Grâce que baignent des eaux incessamment animées par les blanches voiles ou les panaches de fumée des navires.

Vingt ans ne se sont pas écoulés depuis que quelques baigneurs parisiens, repoussés de Dieppe par la difficulté de se loger, firent au sud du Havre, à 13 kilomètres d’Honfleur, la découverte d’une plage sablonneuse admirable pour les bains de mer : elle gisait au pied de falaises sauvages que le voisinage d’une brigade de gendarmerie colorait d’un vernis de civilisation, et les campagnes voisines étaient délicieuses de fraîcheur et de variété. Presque tous pêcheurs de profession, les habitans de Trouville étaient de bonnes gens, et leurs femmes comprirent bien vite que la plus douce des vertus ne devait pas être la moins lucrative : leur hospitalité quadrupla en l’Honfleur de Paris le prix des loyers de leurs chaumières, et de ce moment la fortune de la plage de Trouville fut faite. Il en est peu de fondées sur de meilleures bases. Qu’on tourne les yeux du côté de la terre ou de celui de la mer, la situation de Trouville l’emporte de beaucoup sur celle de Brighton : il est des vallées plus étendues