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que celle de la Touques, il n’en est pas de plus gracieuses, et l’aspect de l’embouchure de la Seine, avec ses eaux toujours sillonnées de navires, a peu d’équivalens dans le monde. Trouville, qui n’était qu’un village en 1840, comptait 4,183 habitans au recensement de 1856, et ce nombre est doublé pendant l’été. Le relief du sol n’a pas moins changé que la population ne s’est accrue. Le lit de la Touques a été transposé ; de beaux quais alignés ont pris la place de grèves informes ; des dunes et des falaises solitaires se sont couvertes de jardins et de maisons de plaisance ; des habitations plus modestes sont de tous côtés sorties de terre : les plans du cadastre, les cartes récentes de l’état-major et de la marine ne représentent plus qu’un passé oublié, et d’autres transformations sont si probables, peut-être si prochaines, que les cartes levées aujourd’hui risqueraient d’être vieillies avant d’être gravées.

L’aspect que présentait il y a vingt-cinq ans l’atterrage de Trouville avec sa rivière s’épanchant péniblement sur un talus de sable infranchissable en morte-eau, même aux bateaux de pêche, ne répondait guère aux événemens dont il a jadis été le théâtre. Les 240 hectares de marais et de dunes qui remplissent l’angle compris entre la rive gauche de la Touques et la mer remplacent une anse où flottait à l’aise en 1066 une des divisions de la flotte de Guillaume le Conquérant, et où Henri V descendit, en 1417, avec des forces suffisantes pour subjuguer sans coup férir toute la Basse-Normandie. La nature et le relief du terrain ne permettent point à cet égard le moindre doute. La mer recevait la Touques à 3 kilomètres en arrière du rivage actuel, et la rivière, on le reconnaît aux berges qu’elle a quittées, avait devant le bourg auquel elle a donné son nom au moins 150 mètres de largeur : le mouillage était abrité de l’ouest et du sud par la courbure du Mont-Canisy, alors beaucoup plus saillant vers le nord. L’entrée en était signalée au loin par la vieille chapelle de Bénerville, et le fond en était gardé par le château des ducs de Normandie, dont l’enceinte fortifiée est un monument si précieux de l’architecture militaire du moyen âge. L’histoire n’est pas ici moins clairement écrite sur le terrain que dans les chroniques. Le marais de Deauville n’est que le résultat d’atterrissemens récens ; la mer, qui le submerge aux équinoxes, n’en a pas même encore abandonné la possession, et Bonnivet ne fit, contre son habitude, rien que de très raisonnable, lorsqu’il vint, en 1520, chercher à l’embouchure de la Touques l’emplacement du port militaire qui devait succéder à Harfleur. L’illustration funeste qu’avait acquise cet atterrage en 1417 n’était point oubliée, et l’on devait penser que les eaux qui recevaient un siècle auparavant les flottes anglaises à leur arrivée pouvaient servir de point de départ aux nôtres.