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embrassent deux ordres d’intérêts bien distincts, c’est entre la vie morale et la vie matérielle du marin que le gouvernement à partagé son attention. Indiquons d’abord en quoi consistent les réformes morales.

Le marin russe apportait autrefois au service des bras vigoureux, mais rien de plus. Le gouvernement a compris qu’il fallait veiller à l’éducation intellectuelle de cette population inculte, et il n’épargne pas les efforts pour lui dispenser largement l’instruction. Cronstadt n’a pas seulement des arsenaux et des forts redoutables, la terrible place de guerre a aussi son école, que fréquentent en hiver plus de 300 marins. On y apprend à lire, à écrire, à compter, à se servir du compas. Le ministère de la marine distribue en outre dans les différens corps détachés des ouvrages de morale et des livres de piété. Des bibliothèques maritimes sont ouvertes partout aux officiers et aux matelots. Ce sont là des soins dont les autres marines de l’Europe avaient donné l’exemple ; mais ce que l’état n’a fait, je pense, en aucun pays, le gouvernement russe a voulu le faire en faveur des officiers de sa marine. Il a voulu assurer l’avenir des enfans d’officiers de tous grades ayant servi pendant plus de vingt ans. Pour réaliser cette pensée généreuse, il ne s’est pas contenté, comme en d’autres contrées, d’instituer des bourses ou des admissions gratuites dans des collèges spéciaux. Il a fait plus et mieux. Il a inscrit au nom de chaque enfant, sans distinction de sexe, une pension dont le père conserverait le libre usage, qui ne lui imposerait pas même l’obligation de choisir pour ses fils une carrière maritime et qui ferait d’une nombreuse descendance bien moins un fardeau qu’une source de bien-être. C’est ainsi qu’en 1856, une somme de 485, 400 fr. a été consacrée à des pensions qui n’ont d’analogie avec aucune des allocations inscrites aux budgets maritimes des autres puissances européennes. En 1857, ce crédit a été porté au chiffre de 1,025, 360 fr., et successivement à celui de 1, 190, 600 fr. en 1858, de 1, 193, 147 francs en 1859. Par cette disposition bienfaisante, le sort de 1, 691 enfans, dont 699 garçons et 992 filles, a été mis à l’abri des terribles vicissitudes qui attendent les familles des fonctionnaires publics, lorsqu’une mort prématurée leur enlève leur chef et leur soutien. Ce qu’en d’autres pays on accorde quelquefois à de longues sollicitations, toujours si pénibles aux âmes généreuses, est devenu un droit sacré en Russie. Le fils ou la fille d’un officier de marine n’y connaîtra jamais la misère, car la pension octroyée pour chaque enfant lui est continuée jusqu’à l’âge de dix-huit ans, sans préjudice de la pension de retraite attribuée aux veuves et aux orphelins. On a vu d’ailleurs, de 1853 à 1856, plus de 480 enfans placés par les soins du prince grand-amiral dans diverses maisons d’éducation, et depuis 1856, il est entretenu aux frais du ministère de la marine 80 bourses pour garçons et filles dont les parens ne peuvent jouir légalement des secours accordés pour l’éducation des enfans d’officiers ; le ministère dépense à cet effet 64,000 francs. M. l’amiral Jurien de La Gravière a raison de dire, on le voit, que la marine en Russie « est l’objet d’une sollicitude qui se manifeste chaque année par de nouveaux bienfaits. »

L’instruction militaire n’est pas oubliée non plus. Un vaisseau spécial a été désigné pour former les chefs de pièces nécessaires à la flotte. Ce vaisseau fait chaque année des exercices pendant tout l’été, comme cela se pratique en France et en Angleterre. Des écoles de tir et de gymnastique existent