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petit volume dont nous parlons ; mais c’est surtout à un homme pénétré de l’esprit de la méthode anglaise, à Wilhem, que sont dus les premiers essais d’un enseignement populaire de la musique en France. Choron, notre illustre maître, qui toute sa vie s’est occupé de ce grave sujet, n’a jamais pu atteindre le but d’utilité générale et populaire que s’est proposé Wilhem. M. Boiteau raconte la vie laborieuse de Wilhem, ses efforts, ses tâtonnemens inévitables et le triomphe définitif de son mode d’enseignement, qui fut adopté dans les écoles primaires de la ville de Paris en 1826. Le gouvernement de juillet ne fut pas moins favorable à la méthode de Wilhem que ne l’avait été la restauration. En 1834, le ministre de l’instruction publique, qui était M. Guizot, décida que deux cents écoles primaires de France seraient dotées de la méthode Wilhem, et en 1838 l’université adopta officiellement cette même méthode et ordonna que le chant ferait partie des études de toutes les écoles primaires. La propagation de l’enseignement populaire de la musique selon la méthode de Wilhem survit à sa mort, qui arriva en 1842, et les grandes réunions orphéoniques, dont il fut également le créateur, propagent dans toute la France et même dans toute l’Europe le nom illustre de ce modeste instituteur du peuple.

Nous ne suivrons pas l’auteur du livre sur l’Enseignement populaire de la musique dans le récit intéressant qu’il fait des grands événemens de 1848. On vit alors la méthode de Wilhem tomber en défaveur auprès des nouveaux pouvoirs qui gouvernaient la France. Comme toujours, la politique se mêla d’une question qui lui était étrangère, et des méthodes nouvelles, plus démocratiques que ne l’était celle de Wilhem, prétendirent la supplanter dans les écoles primaires, essayant même de pénétrer jusqu’au Conservatoire. Cette plaisanterie n’a pas même fait sourire les hauts et puissans personnages qui se sont faits les protecteurs d’une méthode qui serait à la langue musicale ce que la réforme de M. Marie aurait été à la langue de Racine et de Bossuet. La lutte cependant a été longue entre la méthode de Wilhem et celle qui voulait la remplacer, lutte bruyante, acharnée, qui dure encore. La méthode de Wilhem a été affaiblie sans que les réformateurs puissent encore se vanter de l’avoir vaincue. Un troisième champion s’est glissé dans la mêlée qui, à l’aide de l’autorité supérieure, dont il possède les bonnes grâces, a fait adopter une méthode de sa façon si savante et si profonde, qu’on a été obligé de l’abandonner. M. Halévy a été chargé d’en rédiger une seconde, qui ne semble pas meilleure que la première, en sorte que l’enseignement de la musique dans les écoles communales de la ville de Paris est dans un complet désarroi depuis que les membres de l’Institut, au lieu d’écrire des opéras, font des discours et des méthodes inapplicables qui se vendent à un très grand nombre d’exemplaires. « Nous avons aujourd’hui, dit l’auteur du livre sur l’Enseignement populaire de la Musique, trois méthodes en présence où il n’y en avait qu’une. La ville de Paris avait tout fait pour établir la méthode Wilhem, elle en était fière, elle avait raille raisons pour en être satisfaite, et voilà qu’elle l’abandonne tout à coup, ainsi que l’enseignement mutuel, pour mettre en pratique le livre de M. Halévy. Tôt ou tard la ville de Paris, qui était jadis si prudente, s’apercevra qu’elle a tenté sans raison une expérience périlleuse. On doit faire le moins d’expériences qu’il est possible en matière d’enseignement. Que ceux donc qui en France pratiquent la méthode