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diète, un Nagy, un Balogh, un Wesselényi, un Szecsényi, n’ont fait que traduire en prose ses strophes éloquentes ! » Or on peut oublier un discours prononcé dans un conseil de législateurs, on n’oublie pas la voix du poète qui sans cesse, sous les formes les plus diverses de la fantaisie pure ou de l’indignation brûlante, répète à tous les enfans de son pays : « Souviens-toi ! souviens-toi de ta gloire, souviens-toi de ta honte ! Souviens-toi, et garde au fond de ton cœur l’amertume que je viens d’y répandre. » Aujourd’hui encore, lorsqu’une émotion s’empare du cœur des Hongrois, quand un chef vénéré disparaît, quand Szecsényi par exemple vient à mourir, et que tous les hommes dévoués à la cause nationale, depuis l’archevêque de Gran jusqu’à l’étudiant de l’université de Pesth, l’accompagnent à sa dernière demeure, quelles sont les paroles qui retentissent dans ces pacifiques solennités ? quel est le chant que des milliers de voix entonnent et transmettent aux échos lointains ? Ce sont ces strophes de Vörösmarty :


« A ta patrie, ô Hongrois, demeure éternellement fidèle. Elle a été ton berceau ; quel que soit ton destin, viens-y chercher une tombe.

« Il n’est pour toi dans le monde immense aucun autre lieu de repos. Que ta destinée soit maudite ou bénie, c’est ici qu’il faut vivre, ici qu’il faut mourir.

« Ce pays, c’est celui où le sang d’Arpad a tant de fois coulé en sacrifice, celui où depuis mille ans tant de saints noms ont apparu.

« Ici jadis combattirent pour leurs foyers Arpad et ses héroïques compagnons ; ici le joug de la patrie fut brisé par la forte main de Hunyade.

« C’est d’ici, ô liberté, que s’élançaient tes sanglans étendards, impatiens de voler à la victoire, alors que les meilleurs d’entre nous tombaient frappés de mort en des guerres sans fin, en des combats terribles.

« Et après tant de désastres, après tant d’années d’oppression, il y a encore, courbé, mais non brisé, il y a encore un peuple vivant dans ce pays.

« O toi, vaste monde, patrie des nations, ce peuple te crie dans sa détresse : « Au nom de mille années de souffrance, nous demandons à vivre ou à mourir. »

« Il est impossible que le sang de tant de cœurs ait coulé inutilement ; que pour le salut de ce pays tant de poitrines aient éclaté, brisées par la douleur et le désespoir.

« Il est impossible que la force d’âme, l’intelligence, la volonté droite et pure aient déployé en vain tant d’héroïques efforts, impossible qu’une éternelle malédiction les écrase.

« Un temps meilleur, il le faut, un temps meilleur viendra ; d’un bout du pays à l’autre, des milliers d’hommes l’appellent dans leurs prières.

« Sinon, vienne la mort, puisque tel sera l’arrêt du destin, une mort grande et glorieuse, et que tout un empire descende au tombeau, noyé dans une mer de sang !

« Alors ce tombeau, qui aura dévoré un peuple, les peuples l’entoureront