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et les menaces ayant fait rire Zrinyi, il espère le tenter par des offres magnifiques : « Tu seras roi, lui écrit-il, si tu me livres le fort ; je te donnerai la Croatie. » Le comte sourit ; puis, bourrant son mousquet avec la missive impériale, il le décharge sur les assiégeans. Devant cette ténacité indomptable, le vieux sultan perd la tête ; il assemble ses généraux et les accable d’insultes : « Lâches, si dans une heure Sziget n’est pas pris, je vous fais tous décapiter, … je comble le fossé de vos têtes, … je passe sur ce pont pour monter à la brèche. » A peine peut-il achever ces paroles, la rage le suffoque, ii tombe à demi foudroyé, et meurt la nuit suivante. En voyant le comte Zrinyi vivant encore dans sa forteresse et Soliman II, la terreur de l’Europe, étendu mort sous sa tente, l’armée ottomane aurait perdu courage. Le vizir se décide à cacher la mort du grand padischah ; il fait trancher la tête à son médecin, aux officiers de sa chambre, pour s’assurer que le secret sera bien gardé, puis il couvre le cadavre de ses plus splendides vêtemens, le place sur son trône, le montre de loin à l’armée, et donne le signal d’un dernier assaut. L’assaut n’eut pas lieu ; le canon turc venait de mettre le feu aux poudres, et une partie de la forteresse, dévorée par l’incendie, s’écroulait sur ses héroïques champions. Le comte n’avait plus que deux cent dix-sept hommes en état de se défendre ; il fait ouvrir les portes, et debout, l’épée à la main, il offre le combat aux assiégeans. Il ne demandait plus à la forteresse que de l’ensevelir sous ses ruines, mais il voulait mourir en soldat. Frappé au flanc, puis à la jambe, il combattait encore à genoux, quand un coup de feu à la tête l’étendit mort au milieu des siens. Tous périrent jusqu’au dernier.

Cet épisode seul suffit à montrer quels furent les glorieux débuts de ces Zrinyi qui vont être si cruellement traités par la maison d’Autriche. Ce soldat de l’empereur et de la chrétienté tout entière, ce Léonidas hongrois, comme l’ont appelé les historiens du temps, aura pour descendans toute une lignée de martyrs, qui périront sur l’échafaud des Habsbourg ou deviendront fous dans les cachots ; les plus heureux iront mourir en exil. Ainsi sera payée la dette contractée envers le noble comte. Et n’est-il pas lui-même la première victime de la politique de l’Autriche au XVIe siècle ? Quand Zrinyi fut abattu au seuil de la forteresse de Sziget, les Turcs, admirant son courage, lui firent des funérailles magnifiques, et le grand-vizir, envoyant la tête du héros à l’empereur Maximilien II, lui écrivait ces paroles ; « Avez-vous bien pu, tenant cent mille hommes sous vos tentes, laisser périr sans secours un aussi brave capitaine ? et faut-il que vos ennemis pleurent pour vous une telle perte ? » Le reproche n’était que trop fondé ; les historiens hongrois se demandent encore comment il se fait que le comte de Salm, campé non