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ce nous semble, au consciencieux artiste que nous venons d’apprécier. Trois maîtres, à leur avis, dominent tous les autres chanteurs : ce sont Vörösmarty, Petoefi et M. Jean Arany ; Jean Garay appartiendrait au groupe des poètes de second ordre, avec M. Lisznyai, M. Tompa, M. Sasz, M. Bérecs, et toute une volée de rimeurs dont je dirai un mot en finissant. Or ce sont des raisons de style, moins que cela, des considérations de pure grammaire, qui ont décidé cette distribution des places. M. Arany, comme Vörösmarty et Petoefi, écrit dans un hongrois très pur, sans mélange de formes et d’expressions étrangères, tandis que Jean Garay, esprit cultivé, artiste chercheur, fait souvent des emprunts aux poésies des autres peuples de l’Europe. Rien de plus juste que les scrupules et les exigences de la critique en tout ce qui concerne l’idiome natal ; s’il y a, comme on l’affirme, deux groupes d’écrivains en Hongrie, les écrivains cosmopolites (on leur a donné ce nom), qui abusent des importations étrangères, et les écrivains nationaux, religieusement fidèles à l’esprit et aux règles de leur langue, ce sont ces derniers sans nul doute qu’on doit encourager. Néanmoins il faut prendre garde de méconnaître la valeur de l’inspiration poétique. Si Jean Garay offre un style mélangé, ne peut-on le signaler sans oublier l’élévation de sa pensée, la force et l’originalité de ses peintures ? Pour nous, qui sommes naturellement plus frappé de l’idée que des tours de force du style, à coup sûr, nous placerons Jean Garay au-dessous, de Vörösmarty et de Petoefi : il n’a pas la fécondité, la science magistrale du premier, il n’a pas du second la verve impétueuse et la passion brûlante ; mais nous estimons qu’on doit le mettre fort au-dessus de M, Jean Arany.

M. Jean Arany est né en 1817 à Nagy-Szalonta, dans le comitat de Bihar. Fils d’un paysan calviniste, il reçut une éducation complète, car ses parens avaient remarqué ses dispositions pour l’étude, et leur ambition était d’en faire un pasteur. Après avoir commencé ses classes dans sa ville natale, il entra au collège de Debreczin et se plaça au premier rang parmi ses condisciples. Il s’ennuya bientôt de la vie monotone du collège ; ce besoin d’action et d’aventures qui tourmente la jeunesse hongroise l’entraîna, comme Petoefi, à d’étranges équipées. Il rêvait une libre vie, toute consacrée à la poésie et aux arts ; une troupe de comédiens étant venue donner des représentations à Debreczin, ce fut un événement dans la ville, et le jeune Arany crut toucher le but de ses rêves. Il avait dix-neuf ans, son parti fut bientôt pris ; le voilà enrôlé dans la troupe, il s’apprête à paraître sur la scène. Malheureusement cette société de comédiens, l’une des meilleures qu’il y eût en Hongrie, ne tarda point à se désorganiser, et le jeune Arany, s’obstinant dans ses désirs,