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avec la Chine, l’Inde, la Perse et l’Europe. Ceylan fournissait la cannelle au monde entier ; c’était le temps de ce fameux système de monopole qui consistait à détruire chaque année les trois quarts de la production afin de maintenir toujours les prix à un taux exorbitant. La pêche des perles et la vente de l’ivoire procuraient également de beaux revenus. En un mot, la colonie était prospère. De leur côté, les missionnaires catholiques se livraient avec succès à leurs ardens travaux de propagande. Les plus riches marchands indigènes, les princes même s’étaient convertis à la voix de saint François-Xavier et de la fougueuse milice que les monastères de Goa avaient expédiée vers Ceylan. Les indigènes, baptisés en masse, bâtissaient partout des églises avec les pierres de leurs anciens temples. Le bouddhisme avait perdu son palladium, la fameuse dent de Bouddha, conquise et enlevée en 1560 à Jafna par le vice-roi de l’Inde. Les historiens portugais racontent des merveilles de cette expédition, sanctifiée par la présence d’un évêque. Ils décrivent les messes célébrées solennellement avant chaque combat, les indulgences plénières distribuées au matin de l’assaut, la croix invincible promenée au plus fort de la mêlée, et enfin le sanglant triomphe de la foi sur l’idolâtrie indienne. La dent de Bouddha fut emportée à Goa parmi les trophées, et l’on fut quelque temps à se prononcer sur son sort. Le roi de Pégu s’était empressé d’envoyer une ambassade pour réclamer la précieuse relique ; il offrait quatre cent mille pièces d’argent, son amitié et ses services, qui n’étaient pas à dédaigner dans l’intérêt de la petite colonie de Malacca, dont l’approvisionnement pouvait, en certaines occurrences, se trouver à sa merci. Les officiers portugais étaient disposés à accueillir ces propositions, qui arrivaient fort à propos pour les finances de Goa ; mais l’archevêque s’indigna contre un tel marché : il fit broyer la dent de Bouddha dans un mortier, en présence du vice-roi et de toute la cour, et il en jeta les cendres au vent de la mer : sacrifice bien inutile, car on ne tarda point à apprendre qu’une dent de Bouddha était adorée au Pégu et une autre à Kandy. C’est l’histoire du rameau d’or de la fable. Tant que vivra le bouddhisme, il y aura quelque part une dent de Bouddha. Aujourd’hui cette sainte relique est déposée à Kandy, sous la protection d’une sentinelle anglaise. On la montre aux voyageurs de distinction, et une fois l’an aux indigènes.

Après toutes ces luttes, les Portugais commençaient à se consolider à Ceylan, lorsque, dès les premières années du XVIIe siècle, les Hollandais parurent sur la côte, et s’empressèrent d’offrir leur alliance au roi de Kandy. La guerre engagée entre les deux peuples se prolongea pendant près d’un demi-siècle, et se termina en 1656 par la prise de Colombo, qui demeura au pouvoir des Hollandais.