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arbres, n’ayant aucune notion religieuse, très inoffensives d’ailleurs et se prêtant, sans résistance, aux prédications des missionnaires comme aux expériences de civilisation que l’on a tentées sur elles. Le gouvernement anglais a cherché à initier les Veddahs aux idées du bien-être ; il a essayé de les réunir en villages, de les habituer au commercent de les attirer dans les temples et aux écoles. Ces efforts sont assurément très louables, et ils ont peut-être, sur certains points, dans le voisinage des villes, obtenu quelques résultats ; mais il ne faut pas se faire d’illusions sur la solution de ces problèmes philanthropiques que se posent les nations chrétiennes en présence de peuplades que plusieurs siècles de barbarie et de misère ont frappées de mort. Si l’on sauve ainsi quelques familles, la race est condamnée à disparaître, et les approches de la civilisation ne font que hâter le moment fatal. Il en sera des Veddahs comme il en est des peaux rouges de l’Amérique du Nord. On n’entendra bientôt plus parler d’eux ; ils ne figureront même plus dans les récits de voyage, où ils ont fourni si souvent l’occasion de portraits pittoresques et d’éloquentes dissertations sur les destinées des races autochthones.

La région orientale, dans laquelle on entre en quittant les forêts des Veddahs, est l’une des plus curieuses de l’île. On y remarque beaucoup d’anciennes coutumes et une sorte d’organisation féodale qui, malgré l’influence de la conquête européenne, s’est maintenue intacte. Chaque district a un chef qui est propriétaire absolu du sol ; les habitans travaillent pour lui, moyennant une part dans la récolte. Ce n’est point précisément l’esclavage, puisque chacun a le droit de changer de maître en changeant de district, et l’aspect heureux du pays indique que la population s’accommode de cet ancien système que les Anglais ont respecté. La principale culture est celle du riz, dont il se fait chaque année deux récoltes. Lors des semailles et de la moisson, le chef du village distribue les grains, le bétail et tous les outils nécessaires, et chacun se met à l’ouvrage. Après la récolte, on procède au partage des produits, et une part est mise en réserve pour les fonctionnaires, parmi lesquels figurent aux premiers rangs le médecin, le maître d’école, le barbier, le blanchisseur et, dans certains districts, l’agent de police, qui est spécialement chargé d’exciter à coups de bambou le zèle des travailleurs. On est peut-être surpris de la condition privilégiée qui est faite au blanchisseur et au barbier. Ces deux fonctionnaires sont, après le chef, les personnages les plus importans de la communauté. Ils assistent comme témoins aux différens actes de l’état civil ; leur présence est indispensable pour la célébration des mariages. La corporation des barbiers est toute-puissante. Quant à l’influence des