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l’empire de ce sentiment, les hymnes abondaient naturellement sur ses lèvres. Sa voix s’élevait ample et sonore, comme pour remplir la voûte d’un temple ou d’une cathédrale ; il semblait que son langage ne pût jamais être assez majestueux et assez sublime. Personne n’a eu de notre temps pour les idées le même genre de respect que M. Quinet ; d’autres ont eu pour elles le respect froid et poli du courtisan devant son roi, ou la déférence d’un serviteur dévoué à son maître jusqu’à la mort ; lui, il a eu pour elles un respect sacerdotal. On eût dit qu’il les considérait, ainsi que le fidèle considère son Dieu, comme d’une essence supérieure à l’intelligence humaine : jamais il ne les abordait de trop près ; il se tenait debout et la tête droite en face d’elles, et cependant à distance, non par crainte superstitieuse, mais par déférence libre et volontaire. En sa compagnie, nous étions bien loin de ces profanateurs qui, considérant les idées comme leur propriété, ne craignent pas de porter la main sur elles, même au risque de les blesser et de les déshonorer, qui ne rougissent pas de les réduire en esclavage pour les besoins de leur intelligence, et de les traîner hors du sanctuaire pour en faire les captives de leur âme. On peut dire en toute vérité que si M. Quinet a levé les yeux vers les idées, il n’a jamais porté la main sur elles. À mesure qu’il avance dans la vie, M. Quinet semblerait disposé à devenir, non pas moins respectueux, mais plus familier. Vous connaissez ces déterminations qui sont comme les coups d’état de l’âme ennuyée du statu quo dans lequel elle vit, ces déterminations qu’on exécute avec un mélange de timidité et de décision, le visage empreint de résolution et le cœur palpitant d’anxiété. C’est un de ces coups d’état que M. Quinet vient d’accomplir courageusement, avec une résolution qui lui fait honneur. Cette résolution est bien nettement marquée par l’étendue de l’ouvrage, qui se compose de deux volumes, chacun de cinq cents pages. On n’écrit pas une œuvre aussi considérable sans un parti pris bien net et bien arrêté ; c’est donc un véritable coup d’état que M. Quinet a voulu exécuter, et a exécuté contre lui-même, contre son génie et la nature des rapports qu’il avait entretenus jusqu’alors avec le monde de l’intelligence. Il a voulu savoir jusqu’où il pouvait aller dans la familiarité de ces souveraines et de ces déesses qu’il s’était jusqu’alors contenté d’adorer avec des frémissemens d’éloquence ; il a voulu savoir s’il pouvait pénétrer dans leur intimité sans les blesser ; il a voulu savoir si, sans manquer à ces lois de religieuse déférence qu’il a pratiquées envers elles toute sa vie, il pouvait en leur présence se permettre de détendre la gravité habituelle de son visage, et oublier dans l’abandon du discours la distance qui sépare le sujet du souverain. Sans renoncer à son ancien mysticisme, il a donc essayé du ton fa-