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et la coiffure du bon roi Henri fut reléguée au magasin. Notre muletier en avait probablement dérobé un, et, coiffé de ce sombrero, auquel il avait ajouté une énorme plume d’autruche, il ressemblait assez à Charles Ier en déroute haranguant ses cavaliers. L’armée d’Afrique, au milieu de ses fatigues et de ses privations, a pu souvent retremper son moral au milieu des lazzis de quelques joyeux enfans des rues de Paris. Soit sous le soleil brûlant d’Afrique, soit sur les plateaux neigeux de Sébastopol, l’esprit parisien, si railleur, si militairement spirituel, se retrouve partout le même. Il date de loin, au reste. « Laissez aller la Pie (le cheval de Turenne), s’écriaient quelques soldats après la mort de ce grand homme, nos généraux ont perdu la tête ! » Ces soldats de Turenne ne faisaient que devancer nos zouaves. « Joue-leur la Casquette, disaient ceux-ci quand ils étaient serrés d’un peu trop près, ils croiront que Bugeaud est avec nous ! »

Ayant rallié ses troupes, le général Lamoricière se dirigea sur Aïn-Temouchen. Ce petit camp, pendant deux jours, avait été entouré par les Arabes, ivres de leur premier succès. Bou-Hamedi, lieutenant d’Abd-el-Kader, le tenait bloqué ; mais c’était un vieux zouave, le capitaine Saffranet, qui y commandait. N’ayant aucun moyen de résistance, il usa de ruse, et avec des bûches placées tout autour de ses remparts de terre, il simula une puissante artillerie, se refusa à entrer en aucun accommodement, menaçant sans poudre de se faire sauter lui et toute sa garnison plutôt que de se rendre. Il sauva ainsi sa chétive place. Quand on arriva en vue de ce petit fortin, la fanfare du 2e régiment de chasseurs entonna l’air fameux la victoire est à nous ! Le soir, dans le camp débloqué, on but à la santé de la France, du capitaine des zouaves et de sa petite garnison.

Le lendemain, la colonne passa sur le terrain appelé les Trois-Marabouts, qui avait été témoin de la plus honteuse capitulation conclue par une troupe française ; Toute une colonne, avec soixante-dix mille cartouches, s’était rendue à discrétion. C’était un petit Baylen, mais dont les conséquences furent plus désastreuses peut-être ; le général Dupont au moins sauva et ses troupes et ses bagages, tandis que cette malheureuse colonne d’Afrique fut massacrée tout entière quelques mois après sur les bords de la Malouïa, dans le Maroc. Le général Lamoricière s’arrêta un moment sur ce théâtre de honte, couvert encore de débris de souliers, de chiffons et de papiers à cartouches qui n’avaient point servi, puis il se rabattit à droite et prit la direction des Traras, dont il longea les montagnes, et entra à Ghemma-Razouät sans avoir rencontré l’ennemi. Ayant appris que le général Lamoricière était sorti de son camp pour marcher à lui,