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fonctionnaires en les déshabituant de la lutte régulière, en les énervant par une trompeuse confiance dans l’omnipotence, en les exposant à une impopularité croissante et trop longtemps bravée ; ils corrompent la portion du pays éloignée du pouvoir en la laissant dans l’oisiveté politique, en ne lui permettant point de s’initier aux conditions pratiques du gouvernement, en empêchant les hommes distingués qu’elle renferme d’acquérir la légitime autorité due partout à l’union du talent et du patriotisme, en abandonnant les exclus aux tentations désespérées de la haine et de la vengeance. Ceux qui en présence de la chute de ces régimes s’écrient, comme vient de le faire M. de Larochejacquelein devant son conseil-général : « Le mot fatal : il est trop tard, ne portera donc jamais ses enseignemens ! » en parlent bien à leur aise. Il n’est trop tard pour les concessions que quand il est trop tard déjà pour la résistance. Les gouvernemens dont nous parlons reçoivent à la même heure cette terrible révélation, qu’ils sont impuissans à résister et qu’ils n’ont rien à espérer des concessions.

Qu’on y réfléchisse : pour que les gouvernemens se rajeunissent et se vivifient par d’utiles rénovations, il faut que l’opportunité des concessions leur soit annoncée et la nécessité des réformes imposée par le mécanisme des institutions libres ; il faut que la faculté de rénovation soit pour ainsi dire une des vertus de la constitution elle-même et des mœurs politiques formées dans la nation par la pratique d’une constitution vraiment progressive. Hors de là, il n’y a que la honteuse et cruelle alternative du despotisme et des révolutions. Quand un gouvernement pourrait céder dans sa force, on a-t-on jamais vu que ceux qui l’exploitent en aient eu le désir et lui en aient donné le conseil ? Quand arrive l’heure inévitable de sa défaillance, où a-t-on vu les insolens adulateurs de sa prospérité passée tenir ferme contre la mauvaise fortune, et n’être pas au contraire les premiers à prendre l’épouvante et la fuite ? C’est alors que l’on aperçoit, comme à Naples, dans sa hideuse réalité l’œuvre de destruction accomplie par le despotisme. Il ne reste plus rien : plus d’administration, plus d’armée, plus de marine, plus de nation. Toutes les forces intermédiaires ayant été comprimées, atrophiées, anéanties entre le pouvoir et le peuple, il n’y a plus de compromis, plus de transaction possible. Le pouvoir ne trouve plus d’agens efficaces, parce que le peuple ne reconnaît pour chefs que les organes les plus exaltés de sa propre passion. Ce fécond ciment des sociétés saines, la libre confiance, a disparu. Les scrupules honorables deviennent des obstacles, les bonnes intentions n’enfantent que des maladresses, et l’on assiste à la douloureuse impuissance de la vertu. Quant à nous, rien ne nous étonne dans la ruine qui s’accomplit à Naples, ni les indécisions du jeune roi sous le poids de l’héritage qu’il a reçu, sous la pression des scrupules d’une conscience qui lui veut du mal, comme on le disait de Jacques II, et entouré d’une famille funeste, ni la versatilité du peuple napolitain, de cette démocratie des lazzaroni, sur laquelle l’ancien roi croyait avoir appuyé son despotisme