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l’art de conduire une action, de peindre dans une juste mesure les caractères et les situations, de raconter simplement.

Une idée, il y avait pourtant une idée : c’est ce qui intéresse dans ce récit nouveau, et c’est vraiment ce qui manque dans les aventures de Monsieur et Madame Fernel que raconte M. Louis Ulbach. On a, dit-on, parlé de Monsieur et Madame Fernel tout un soir, et c’est beaucoup ; d’autres, plus hardis, ont voulu voir dans le roman de M Ulbach presque un événement littéraire ou une révélation, et ce serait ou une complaisance singulière pour l’auteur, ou une sévérité bien outrée pour tant d’autres romans d’hier et de demain, qui ne valent pas moins, s’ils ne valent pas plus. La vérité est que cela peut bien être le thème d’une conversation fugitive au bout de laquelle personne n’est d’accord, et qui retombe comme un léger linceul d’oubli sur une œuvre éphémère. Quelle a été la pensée de l’auteur ? A-t-il voulu retracer un tableau de la vie provinciale ? a-t-il voulu décrire le contraste d’une femme vivant dans un intérieur bourgeois, au milieu de tous les soins du ménage, et d’une femme formée dans la chaude atmosphère de Paris, accoutumée à tous les succès de salon ? Mieux encore, s’est-il proposé de décrire les effets produits par une de ces merveilleuses et pétulantes Parisiennes tombant dans un monde de province qu’elle enflamme et bouleverse au passage ? Je ne saurais le dire au juste. M. Ulbach, on le dirait en lisant Monsieur et Madame Fernel, est un de ces écrivains à qui il arrive, non d’écrire un roman parce qu’ils ont une idée, mais de chercher une idée parce qu’ils veulent écrire un roman, et qui pensent qu’ils n’ont qu’à jeter un regard sur le monde. Oui, sans doute, le monde est grand et contient dans son sein d’inépuisables élémens d’intérêt ; il y a des luttes obscures et poignantes, des complications infinies de mœurs et de caractères, des drames qui se nouent ou se dénouent sans cesse. Seulement ces drames, ces complications, ces luttes, il faut les voir, les condenser, les replacer sous leur vrai jour, en leur laissant cet accent humain qui les rend intéressans, et c’est ce que ne fait pas M. Louis Ulbach dans Monsieur el Madame Fernel. Les tribulations des deux bourgeois de Troyes, dont le ménage est si étrangement mis en émoi par l’arrivée de cette pétulante Parisienne, Mme Huard de Soligny, ces tribulations ont je ne sais quoi d’artificiel et de froid.

Le livre de M. Louis Ulbach laisse une impression singulière et indécise comme tout ouvrage d’imagination où il n’y a point réellement de sujet. C’est toujours, à vrai dire, la même situation, l’histoire de deux femmes rivales sans le savoir et sans le vouloir, se disputant un homme sans se l’avouer au fond du cœur. L’histoire se promène de la petite chambre à coucher de Mme Fernel au salon de l’ancien notaire, et de la maison Fernel jusque dans les salons de la préfecture de Troyes, mais elle est toujours la même. Et il n’y a point de situation dans Monsieur et Madame Fernel parce qu’il n’y a point de personnages humains et vivans. Ce sont des caractères entièrement factices, des ombres de personnages s’agitant dans une fiction sans point de départ et sans but. Ils ne se révèlent point par leurs actions, par le relief de leur nature au milieu du monde où ils vivent et des événemens qu’ils traversent, on ne les connaît que par ce qu’en dit l’auteur, qui prodigue les descriptions et se porte garant des caractères qu’il a l’intention