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était à Woolwich, étudiant d’un œil scrutateur les avantages de ce qu’on appelait alors la garenne, warren, à huit milles de Londres : un fleuve pour charger et décharger les canons, une vaste étendue de terre découverte pour essayer les expériences dangereuses, et tout alentour une campagne alors inhabitée, de sorte que l’établissement pourrait s’étendre sans gêner personne. Ayant ainsi tout examiné, il dit au gouvernement : « Voici l’endroit, this is the place. » Ses plans furent acceptés, une fonderie de canons s’éleva sur les lieux déserts qu’il avait indiqués, et Andrew Schalch, ayant donné de nouvelles preuves de talent, fut nommé maître fondeur. Il remplit cette charge durant près de soixante années et mourut en 1776. J’ai vu son tombeau dans le cimetière de Woolwich[1].

Aujourd’hui l’arsenal de Woolwich est une ville dans la ville, avec une population flottante de dix mille ouvriers, un fleuve, un chemin de fer, des bâtimens qui succèdent aux bâtimens, des squares immenses, des rues pavées où circulent des fourgons, un mur d’enceinte qui s’étend jusque fort avant dans Plumstead, une école, une bibliothèque, d’élégantes maisons habitées par les officiers civils et militaires, des magasins, des musées d’armes, une pharmacie, en un mot tous les élémens d’une cité industrielle. Là se fabriquent en quelque sorte la guerre, les moyens de défense nationale, la fortune de la Grande-Bretagne sur les champs de bataille. De l’extérieur, on n’aperçoit guère que des tuyaux de brique énormes qui dominent la ville, des constructions à demi masquées par d’autres constructions et des terrains vagues où la vue se perd sur un champ. de verdure. Çà et là, dans l’épaisseur de l’herbe, s’élèvent des canons, des mortiers et autres instrumens de bronze, fleurs sauvages de ces landes sévères où paissent néanmoins quelques vaches. Il est curieux de voir l’entrée et la sortie des ouvriers. Dix minutes avant deux heures, après le repas qui coupe la moitié de la journée, une puissante cloche emplit de sa grande voix les environs de l’arsenal ; elle appelle aux travaux. Des ouvriers de tout âge assiègent alors les trois grilles qui servent d’entrée, et dont l’une s’ouvre à l’extrémité de Woolwich, les deux autres sur le chemin de Plumstead. Ce peuple à la marche affairée, à l’air grave, aux mains endurcies par le travail, se précipite dans l’enceinte de l’établissement. Pour observer de plus près ces rudes ouvriers, pour pénétrer dans l’arsenal, il faut une permission signée du war-office. Deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, les visiteurs affluent. Ce qui frappe à première vue dès que vous avez franchi l’une des trois grilles, c’est un caractère de grandeur et d’immensité dans le travail. Il faut au moins une journée pour visiter avec attention ces deux cent soixante

  1. On conserve encore à l’arsenal des pièces d’artillerie coulées par ce maître fondeur.