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vers la fin du siècle dernier, le chantre de l’Aveugle et du Jeune Malade? La poétique de l’un a de telles analogies avec la foi esthétique de l’autre, qu’il semble naturel de leur attribuer à tous deux, sinon le même rôle et la même influence, au moins une ambition à peu près pareille et un égal bon vouloir. Il faut le redire toutefois, la similitude existe dans les intentions, mais elle est loin d’apparaître aussi complète quant à la valeur même des œuvres et à l’impression produite. Si exactement moulées qu’en soient les formes sur les exemples de l’antiquité, le style d’André Chénier garde au fond un caractère personnel, une aisance, une verve propre, qu’on ne retrouve pas ou qu’on retrouve à un moindre degré dans les travaux de Simart. Sous l’érudition archéologique du poète, on sent un art jeune et vivace ; sous le calme ou la grâce attique de la parole, l’émotion, l’originalité de la pensée. Tout en s’appliquant à ressaisir l’inspiration antique jusque dans la traduction des faits ou des idées modernes, Chénier n’oublie pas que la poésie ne saurait être seulement une fiction d’initiés ; pour lui, la révélation absolue du beau n’est pas la résurrection d’une langue morte. Sans doute Simart n’avait garde non plus de méconnaître cette loi nécessaire de l’art ; mais, faute de confiance en lui-même peut-être, il lui est arrivé de laisser prédominer dans ses ouvrages la science sur l’invention et les habitudes acquises de l’esprit sur la franchise du sentiment. Ce qui manque à ces œuvres hautement érudites, ce n’est certes ni la noblesse du goût ni la correction de la pratique : c’est l’accent qui achèverait de vivifier le tout, c’est ce je ne sais quoi d’intime et d’inattendu, cette pointe de bizarrerie, si l’on veut, qui perce même dans les travaux des maîtres les plus purs, et qui caractérise une manière tout en échappant à l’analyse.

Lorsqu’on examine la suite de photographies récemment publiée, ou, ce qui est plus sûr, plus concluant encore, lorsqu’on parcourt dans le musée de Troyes les salles où des mains pieuses ont réuni les modèles en plâtre des statues et des bas-reliefs sculptés par Simart, il est impossible de ne pas être frappé de la dignité soutenue, de l’unité que présente l’histoire de ce talent. Aujourd’hui surtout qu’en matière d’art les fortes croyances sont rares et les petits moyens de succès facilement admis ou excusés, c’est avec un sentiment de vénération exceptionnel qu’il faut contempler ces productions d’une intelligence convaincue, ces reliques d’une vie consacrée sans relâche aux études sévères, aux généreuses ambitions. Faut-il attribuer pour cela au savant statuaire une puissance d’expression égale à l’énergie de sa volonté, et exhausser au niveau du génie cette sobriété dans le goût, cette sûreté dans les informations ? M. Eyriès semble parfois s’exagérer en ce sens la valeur du talent qu’