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une sagacité toute française dans les œuvres appartenant à cette belle époque, leur donnent à la fois une majesté et une finesse qui en attestent clairement les origines. Depuis les tombeaux de Saint-Denis, de Nantes et de Tours jusqu’aux bas-reliefs de la fontaine des Innocens, jusqu’aux cariatides de Sarazin dans la cour du Louvre, combien de monumens pourrait-on citer où il n’est pas difficile de reconnaître l’empreinte d’un esprit d’imitation aussi bien informé au fond que mesuré et délicat dans la pratique ! Plus tard, cette délicatesse disparaît en partie pour faire place à une expression plus vigoureuse de la vie, à une recherche plus assidue de la force et du mouvement, sauf à rencontrer parfois l’agitation : les souvenirs de l’antiquité demeurent néanmoins, en dépit des préoccupations nouvelles. Ce ne sont pas certes les modèles auxquels Jean Goujon s’adressait de préférence qui instruiront le puissant ciseau de Puget ; mais certains monumens, chers autrefois à Michel-Ange, seront consultés de près par le sculpteur du Milon, de l'Hercule, du Saint Sébastien, et, quelle que soit en apparence la fière indépendance de cette manière, elle ne fait encore que continuer sous d’autres formes les studieuses traditions qui avaient inspiré les entreprises précédentes. Enfin, lorsque la révolution commencée dans un juste désir de progrès s’achève dans l’aberration et dans la licence, lorsque regarde, le Bernin et leur séquelle ont popularisé partout la manie de la sculpture pittoresque et du style tourmenté, c’est en France, et en France seulement, que survit un peu de respect pour le bon sens et pour les enseignemens du passé. C’est dans notre école que s’est réfugié ce qui subsiste encore de science saine, de doctrine consacrée, de goût classique, et qu’au milieu même de ce naufrage de l’art quelques talens surnagent, guidés, sinon par une étoile assez radieuse pour les conduire au port, au moins par une lueur à demi voilée qui leur permet de louvoyer entre les écueils. Survient David, et avec lui la fin des hésitations et des scrupules. Sous le règne de ce réformateur universel, la statuaire, aussi bien que la peinture, entre ouvertement et persiste dans une voie d’imitation à outrance, dans un système d’archaïsme aussi inflexible, aussi impitoyable qu’avaient été désordonnés le mouvement en sens contraire dont les artistes italiens s’étaient faits les promoteurs et les entraînemens auxquels notre école avait résisté de son mieux. Ici, nul effort, nulle velléité même de résistance. Pour tous les sculpteurs comme pour les peintres, le culte des anciens monumens est devenu un point de foi plus rigoureux, un moyen de salut mieux assuré que la croyance aux vérités directes et naturelles. On dirait qu’à leurs yeux la forme animée est bien moins un modèle dont le ciseau a le devoir de figurer l’image qu’un prétexte pour simuler