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au progrès, bon nombre de sculpteurs, en fait d’antiquité, s’en tiennent à la théorie. Ils s’inclineront pieusement au nom de Phidias, sauf à consulter d’habitude Coysevox : ils n’auront pour les grands exemples de l’école attique que des paroles d’enthousiasme ; mais, s’ils se mettent à l’œuvre, c’est la réalité vulgaire qu’ils s’efforceront de transcrire, en enchérissant même sur les laideurs du modèle. Puis viennent les sculpteurs qui ne font de l’ébauchoir qu’un instrument de menue industrie, fabricans de statuettes, pourvoyeurs d’étagères, auxquels le titre d’artistes siérait aussi peu que celui de poètes aux rimeurs de chansonnettes. Et cependant, en dépit de ces témoignages de lassitude ou d’impuissance, malgré tant d’élémens de scepticisme ou d’anarchie, notre école de sculpture n’a pas encore si bien démérité qu’on ne puisse citer, parmi les travaux qu’elle a produits dans le cours des trente dernières années, plus d’une œuvre éminente, plus d’une tentative digne de son passé. Si affaiblie qu’elle paraisse, elle lutte encore, et elle lutte victorieusement, pour garder sur les écoles étrangères sa vieille suprématie et pour continuer les traditions qui l’obligent envers elle-même. Le Jeune Pêcheur, de Rude, placé maintenant au Louvre, dans une des salles consacrées aux anciens chefs-d’œuvre de la sculpture française, se soutient à côté de ces nobles monumens. Le Danseur, de M. Duret, cette figure d’un jet si heureux, d’une expression si gracieuse et si neuve, et l’Improvisateur, qui lui sert de pendant, auraient-ils rien à redouter d’un pareil voisinage ? Le Génie de la liberté et la Leucothoé de M. Dumont, le Premier Secret de M. Jouffroy, la Pénélope et la Vérité de M. Cavelier, le Faune de M. Lequesne, l’Heure de la Nuit de M. Pollet, les statues plus récemment sculptées par MM. Moreau, Guillaume et Loison, — de tels ouvrages, et plusieurs autres qu’il serait facile d’ajouter à cette liste déjà longue, prouvent assez que l’élévation du goût et la pureté du style n’ont pas cessé de trouver des représentans dans notre école. La sculpture de portrait, cette gloire de l’art français depuis trois siècles, est traitée, sinon avec la même aisance qu’autrefois, au moins avec une fine intelligence de la physionomie et de la vérité contemporaine ou historique. Sans parler de beaucoup de bustes successivement exposés au Salon, plusieurs statues, telles que le Mirabeau, le Bailly et le Maréchal Gérard, de M. Jaley, attestent que dans cet ordre de travaux l’habileté matérielle est aussi loin de faire défaut que l’aptitude à comprendre et à exprimer le caractère moral des modèles. Enfin, lorsque M. Barye consent à se soumettre aux exigences en quelque sorte architecturales de la sculpture, lorsque, en reproduisant la nature avec la verve pittoresque que chacun sait, il n’abuse pas de cette verve même pour agiter plus que de raison les lignes ou pour installer seulement la