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ses affaires, et sait mauvais gré à l’honnête Pritchett, qui, sans avoir l’air d’y toucher, continue à lui donner d’excellens avis. — Miss Caroline ?… elle a quelque fortune ; … mais il dépendrait du vieux gentleman qu’elle en eût bien davantage. — Quand Pritchett parle ainsi, le jeune avocat l’étranglerait volontiers.

George en effet a choisi sa profession. Un de ses condisciples, Harcourt, dont les débuts au barreau furent des plus brillans, l’avait séduit par son exemple et décidé par ses conseils. Il est donc installé, selon l’usage anglais, auprès d’un barrister at law, qui augure à merveille de son jeune acolyte. Immédiatement après avoir fait ce pas décisif, il est allé, avec son impétuosité ordinaire, relancer la belle Caroline, qui habite avec miss Baker une petite ville à quelques lieues de Londres. Caroline aurait bien voulu tergiverser encore, le tenir en suspens, le réduire à d’humbles prières et à une longue attente. George n’est pas homme à se laisser faire ; son caractère, tout d’une pièce, n’a point la flexibilité qu’exige le rôle du soupirant ordinaire. Caroline, il est vrai, lui sait gré de cette énergie un peu absolue qui effraierait une jeune fille plus timide. Et quand il réussit, malgré ses ruses, à la tenir seule à seul sous son ferme regard, il faut bien qu’elle reconnaisse son maître. — Voulez-vous être ma femme ? lui a-t-il dit avec une sorte de sévérité. — I will, a-t-elle répondu, presque tremblante. Puis, sous différens prétextes et bien malgré George, elle ajourne cependant, appuyée par miss Baker, la célébration du mariage. Ces dames tiennent infiniment à ce que l’oncle millionnaire approuve cette union, et il l’y faut préparer. — Qu’il l’approuve pu non, que m’importe ? dit l’incorrigible George. Une fois marié, sa fellowship universitaire va lui manquer ; mais quoi ? l’avenir y pourvoira. Cette noble confiance devrait lui gagner le cœur de sa maîtresse ; est-il bien certain cependant qu’elle en soit si flattée ?

Harcourt, à qui le jeune Bertram croit devoir faire part de ses projets, est fort loin de les approuver. Dans ses idées, un jeune homme qui débute ne peut épouser qu’une femme riche. « Une femme est un objet de luxe. Né me parlez pas d’une femme à bon marché. Je puis, comme célibataire, manger du mouton froid et brûler mes bouts de bougie ; mais je n’aime pas les économies de femme. Les comptes de blanchisseuse rognés et réduits, la bonne « pour tout faire » à qui on paie sa bière à part et une robe de chambre foncée pour les travaux du matin, n’ajouteraient pas grand aliment, si je me connais un peu, à ma flamme conjugale. J’aime les femmes qui coûtent cher. Plus on les aime, plus on les veut près de soi, plus on tient à mille délicatesses recherchées. Sans elles, quoi de plus rebutant qu’une femme ?… Bertram, ajoute le romancier, se disait au fond du cœur que Harcourt était une bête brute, un être sans âme, une créature