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font les voyageurs d’aujourd’hui ! Que l’on essaie de se représenter ce que devait être Damas, d’abord capitale d’un royaume, ensuite résidence des premiers califes ommiades, en regard de ce qu’est le Damas du XIXe siècle, chef-lieu d’un pachalik turc, où les Turcs eux-mêmes ne forment qu’une minorité : militaires, employés, fonctionnaires du tanzimat, véritable oiseaux de passage sans racines et sans autorité dans le pays !

Il convient cependant d’observer que les plaines et les vallées de la Syrie n’ont jamais été que des appendices de sa destinée, partageant son éclat aux époques de prospérité et sa désolation aux époques de décadence. Ainsi, avec les Séleucides, Antioche devient la capitale d’un empire qui a ses jours de gloire ; ainsi, lors du débordement des Arabes sur le monde, Damas devient tout d’abord le quartier-général de leur gouvernement. Néanmoins ce n’est jamais là que s’est trouvé le siège de la vie du pays, pas plus qu’il ne s’était trouvé à Tyr du temps des Phéniciens. La côte, comme la plaine, a toujours pu être à la merci des conquérans, qu’ils vinssent par terre ou par mer. En définitive, ce qui a toujours résisté aux vicissitudes de la politique, des révolutions et des conquêtes, ce que la nature non moins que l’homme a défendu contre la barbarie ou contre l’indolence, c’est cette double chaîne de montagnes qui ne se développe pas en largeur sur plus de trente ou trente-cinq lieues, mais qui s’étend d’Aïn-Tab à la Mer-Morte sur toute la longueur de la Syrie (cent cinquante lieues), du nord au sud. Dans la montagne, la barbarie n’a jamais pu tarir les sources des eaux qui vont portant avec elles la fécondité et la salubrité ; dans la montagne, l’indolence et la paresse des nations déchues n’ont jamais laissé les eaux se perdre avant d’avoir accompli leur course, ni se corrompre, comme dans les plaines qu’elles empestent maintenant au lieu de les fertiliser comme autrefois.

La montagne n’est pas seulement un lieu sain, c’est aussi un lieu fort, où le vaincu échappe au conquérant, où le faible se défend avec avantage, et à peu de frais souvent, contre les entreprises d’un ennemi même très puissant. Cela est vrai dans tous les pays du monde : la conquête, dans sa marche envahissante, suit toujours et partout les plaines ou les vallées des grands fleuves, soit parce que le terrain découvert est toujours plus facile à occuper et à contenir, soit parce que les immenses bagages que traîne avec elle une armée la poussent toujours dans le pays plat, quand elle est maîtresse de ses mouvemens. Quand elle peut le faire, elle évite la montagne, qui devient naturellement alors le refuge des vaincus. Ils s’y déposent par couches de nationalités qui se mêlent souvent, mais qui ne se confondent presque jamais. C’est ainsi que s’est formée la population