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que les Turcs, s’ils y ont quelquefois exercé une action politique ou gouvernementale, ne l’ont cependant jamais occupée réellement ; que même la totalité des tribus qui sont fixées dans la montagne sont hostiles aux Turcs ; que la plus grande partie d’entre elles n’est même pas musulmane ; que cependant elles sont opposées les unes aux autres par la race, par la langue, par la religion ; qu’elles vivent presque le plus souvent à l’état de guerre intestine ; que le gouvernement qu’on est censé leur avoir donné ou restitué en 1840 ne trouve pas d’auxiliaires pour le maintien de l’ordre, même dans les plaines et dans les vallées qu’habitent cependant des populations de sa religion ; qu’enfin ce gouvernement manque absolument des ressources financières, militaires et morales qui lui seraient indispensables pour conquérir un pays tel que la Syrie ? Car, à bien examiner les choses, ce n’est guère de moins que cela qu’il s’agirait s’il passait par la tête du sultan ou de ses ministres de vouloir établir en Syrie une autorité sérieuse et efficace.

Si l’exposé de cette situation est, comme je le crois, exact, il n’est pas étonnant qu’il en résulte un désordre et une anarchie passés à l’état normal, et que de temps à autre il en sorte des éruptions qui font frémir les peuples civilisés. Dans ces derniers mois, l’éruption a été si terrible, que malgré les défiances et les jalousies qui les divisent, toutes les fois surtout qu’il est question de toucher à l’Orient, les grandes puissances ont autorisé l’intervention en principe, et ont chargé tout d’abord nos soldats d’aller l’exercer pour le compte commun. En même temps, il est vrai, afin de limiter autant qu’il serait possible la sphère d’action du principe que les circonstances forçaient d’accepter, la diplomatie a eu soin de dire que le but de l’intervention, c’était le rétablissement de l’autorité du sultan, et que c’est seulement pour y aider que les cinq puissances ont souscrit à l’embarquement d’un corps de 6,000 Français pour la Syrie. La chose est ainsi libellée dans les protocoles, et l’occasion serait bonne de plaisanter un peu la diplomatie à propos du rétablissement de l’autorité du sultan en Syrie, car rétablir ce qui n’a jamais eu d’existence réelle, c’est au moins difficile ; mais, au lieu de chercher des chicanes de mots, il faut surtout voir ce que l’on a voulu dire, et ce qui est compris en effet par tout le monde, c’est que les grandes puissances prennent leurs précautions pour qu’aucune d’elles ne cherche à exploiter à son profit les circonstances qui ont nécessité l’intervention, et pour que cette intervention ne dégénère point en une occupation permanente. Yoilà le sens vrai des protocoles ; seulement la précision de leur langage laisse beaucoup à désirer quand on cherche comment ils définissent le rôle que nos soldats vont jouer en Syrie.

Qu’y vont-ils faire en effet ? Exiger le désarmement général, obtenir