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cent mille Anglais viennent de désarmer plus de cent millions d’hommes. Avec les troupes qu’il a amenées, avec le secoure d’une division française, Fuad-Pacha doit se sentir assez fort, et si l’on se mettait résolument à l’œuvre, il serait juste d’appliquer la mesure, au moins jusqu’à un certain degré, aux tribus des nomades qui ont fourni leur contingent au massacre des chrétiens.

Quand je dis réparation pour le passé, j’entends que non-seulement on recherchera les principaux auteurs de ces attentats, mais qu’on fera supporter les conséquences des torts à réparer aux populations qui ont assisté de sang-froid à de pareilles scènes et qui n’ont rien fait pour les empêcher. Que l’on ne s’y trompe pas en effet, il ne suffit pas de faire tomber la tête de Kourchid-Pacha ou celle du misérable qui, après avoir fait rendre leurs armes aux chrétiens en leur promettant protection, est accusé de les avoir livrés lui-même à leurs persécuteurs : ils sont aujourd’hui sous la main de la justice, eux et la plupart de ceux qui se sont particulièrement compromis dans ces déplorables événemens ; mais ce serait une grande erreur de croire que leur châtiment peut à lui seul servir de leçon salutaire en Syrie. Les plus notables parmi eux sont des Turcs complètement étrangers au pays, des fonctionnaires nomades que la centralisation byzantine envoie dans les provinces pour y faire une fortune rapide par des moyens que réprouve la moralité européenne. S’ils étaient seuls châtiés, la population, qui très certainement ne leur veut aucun bien, se rirait de leur infortune et de la simplicité des puissances qui auraient cru venger par la ruine de ces fonctionnaires la cause de la civilisation. Il y a bien des chances pour qu’Achmet-Pacha, Osman-Bey, Kourchid-Pacha et les autres se soient aussi rendus coupables de quelques méfaits envers leurs anciens administrés. Or, pour qui connaît l’inconcevable crédulité des Asiatiques, leur orgueil et l’irrésistible penchant qui les entraîne toujours vers le faux, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que dans six mois d’ici, quand nous aurions levé nos tentes, il fût tout à fait établi dans la croyance populaire que nous sommes venus comme alliés, comme vassaux peut-être, prêter main-forte au sultan pour l’aider à punir des serviteurs infidèles. N’est-ce point à peu près de cette façon que dans mille localités du monde musulman on explique la guerre de Crimée ? N’est-ce pas ainsi qu’en Chine, où nous faisons la guerre à l’empereur Hien-fung, les mandarins rendent compte aux populations des circonstances qui nous ont fait mettre des garnisons à Canton et à Shang-haï pour préserver ces grandes villes contre les rebelles ? N’est-ce pas l’une des interprétations que l’ignorance et la corruption de l’esprit asiatique peuvent faire sortir sans de trop grands frais d’imagination du libellé même des protocoles ?

Cela semblera sans doute impossible ou tout au moins fort exa-