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Qu’on se représente à ce moment la disposition de l’armée espagnole. Le premier corps, celui d’Echague, devait rester au Serrallo pour défendre les hautes positions de Ceuta, déjà violemment attaquées. Prim, devenu bien vite maître dans l’art de faire des chemins, et que le général O’Donnell appelait le premier routier d’Espagne, était lancé en avant, suivi du corps du général Zabala. Le troisième corps, celui de Ros de Olano, arrivant bientôt, allait s’établir dans la petite vallée de Tarajar, au camp de la Concepcion. Ce ne fut pas sans difficulté que le mouvement de cette armée se dessina et prit l’allure d’une marche en avant. Il n’y a que neuf lieues de Ceuta à Tetuan ; on mit deux mois pour franchir cet espace.

Ouvrir un chemin pas à pas à une artillerie régulière, à des approvisionnemens nombreux, n’était point d’abord sans doute une facile entreprise ; mais de plus, dans cette première période de la campagne, l’armée espagnole se trouvait assaillie de toutes les épreuves à la fois, de ces embarras qui ralentissent l’élan des troupes les plus énergiques : elle avait à lutter tout ensemble contre le climat, contre les maladies. En novembre et en décembre, les tempêtes se succédaient ; les vents furieux, les pluies diluviennes et froides, abattaient les tentes, transformaient les camps en fangeux marécages. Et ce n’était pas tout. L’armée espagnole portait avec elle un redoutable fléau : le choléra s’était abattu sur elle en Espagne, il l’avait suivie en Afrique, et il sévissait avec une violence accrue par les rigueurs de la saison. « Nous vivons ici, si c’est vivre, comme des condamnés à l’enfer, écrivait, dès le commencement de la campagne, un officier qui mourait trois jours après de l’épidémie. L’ennemi ne nous laisse pas un moment de repos, ni le choléra non plus. La pluie et le vent nous suivent partout, comme si les génies tutélaires de l’Afrique avaient excité contre nous non-seulement les hommes, mais les élémens eux-mêmes. Nous dormons dans la boue, toujours troublés, sans savoir si ce sommeil inquiet va devenir éternel par une balle ennemie ou par une attaque de choléra, cette fatalité invisible et sinistre qui nous décime et nous anéantit. Hier, nous avons eu près de trois cents malades. Si vous ne venez vite à notre secours, au lieu d’une division, vous trouverez un cimetière. Nous ne nous rendrons pas au Maure, mais à la mort. » Le fait est que durant la campagne l’épidémie jeta plus de dix mille malades dans les hôpitaux de Ceuta, et que, dès les premiers jours, les bataillons d’infanterie se trouvaient réduits à cinq cents hommes, si bien que, déduction faite du corps qui restait au Serrallo, l’armée en marche sur Tetuan ne comptait réellement pas plus de quinze mille hommes. Au moment où l’on s’engageait ainsi, l’administration militaire était loin d’ailleurs d’être d’un secours aussi actif et