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amenés dans la plaine, se jetaient impétueusement contre l’infanterie et la cavalerie maures, qui débouchaient déjà par la gorge du vallon. Les hussards firent tout ce qu’ils pouvaient, n’étant point appuyés : ils refoulèrent l’ennemi et ils prirent même un drapeau de la garde noire ; mais c’est surtout à l’assaut des hauteurs que la lutte devenait terrible. Espagnols et Maures se mêlaient dans une sanglante étreinte. Les Arabes se défendaient avec un acharnement furieux, se multipliant de tous côtés, et ne se repliant un instant-que pour revenir au combat. On restait néanmoins maître de ces premières hauteurs. Une fois là, Prim, poussé par la nécessité ou entraîné par son ardeur, lance de nouveau un bataillon du Prince à l’assaut d’un autre plateau voisin, couronné d’ennemis, et on réussit encore. Les principaux points culminans étaient dès lors au pouvoir des Espagnols, qui s’occupaient immédiatement de s’y retrancher. Les Arabes pourtant n’étaient point abattus ; ils revenaient au contraire avec plus de fureur que jamais, grossis en nombre, se précipitant du haut des rochers comme des tourbillons vivans. Livré à lui-même et enveloppé de toutes parts, le bataillon du Prince fléchissait un moment et perdait déjà du terrain, lorsque Prim, heureusement secouru par l’arrivée de deux autres bataillons de Cordova, fait mettre le sac à terre, jette les survenans à l’appui des soldats du Prince, et le terrain est promptement regagné. Nouvel assaut des Arabes, exaspérés par la défaite, obstinés à disputer à tout prix des positions dont ils sentent l’importance. Encore une fois, les bataillons du Prince et de Cordova se voient obligés de céder ; ils commencent déjà de plier, débordés par l’ennemi qui les presse.

Moment suprême et indescriptible dans un combat ! Prim était là sur le premier plateau, l’épée à la main, le visage pâle l’œil et le geste enflammés, se voyant près de perdre le prix du sang versé. Un instant encore, la position qu’il gardait lui-même était en péril, les sacs du régiment de Cordova allaient rester entre les mains des Arabes. Il fut alors saisi d’une de ces inspirations subites qui jaillissent de l’âme d’un soldat. Il s’empare du drapeau du régiment de Cordova, qu’il fait flotter à tous les yeux, électrise les siens d’une parole vibrante, et, enfonçant l’éperon dans le flanc de son cheval, se jette en avant sans regarder derrière lui. Ainsi enlevés, les soldats s’élancent à sa suite, et en peu d’instans on est de nouveau sur cette hauteur, une dernière fois reconquise après avoir été deux fois perdue. Un nuage de fumée et de feu enveloppait ce petit homme, qui, de sa vaillante main, allait planter sur ces sommets le drapeau de Castille ; il avait eu son cheval tué ; ses aides-de-camp tombaient autour de lui, et il n’avait point de blessure. De loin cependant on voyait les rudes affaires du comte de Reuss, et le général en chef,