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O’Donhell de presser l’entrée de l’armée pour épargner à la ville les derniers excès de la soldatesque maure, et c’est ainsi que le 6 février au matin, ces soldats, qui tenaient la campagne depuis plus de deux mois, entraient à Tetuan ; le drapeau jaune et rouge allait flotter sur l’Alcazaba ; la ville sainte du Maroc avait une garnison espagnole. L’armée entière d’ailleurs ne s’enfermait pas dans Tetuan. Prim, avec le deuxième corps, allait s’établir en avant, sur la route de Tanger. Ros de Olano avec le troisième corps, O’Donnell lui-même avec son quartier-général, campaient dans les huertas. Rios seul avec sa division restait dans la ville pour l’occuper et la contenir. Il en était le chef militaire et le chef civil ; il en a été l’architecte et l’édile singulièrement actif ; il y a régné, même après la paix, jusqu’à sa mort toute récente à la suite d’une attaque de choléra.

Tetuan, à vrai dire, était plus séduisante de loin que de près : par son aspect extérieur, par ses jardins, par ses couleurs légères et éclatantes, par l’architecture originale de ses maisons, elle apparaissait comme une vision poétique ; intérieurement c’était toujours la vieille ville mauresque. Ces minarets au faîte gracieux étaient envahis à leurs pieds par des amas de débris infects ; ces maisons si délicatement groupées formaient des rues étroites et sales, bizarrement enchevêtrées et fermées à la lumière du jour. Comme beaucoup de villes arabes, Tetuan a deux quartiers distincts, le quartier maure et le quartier juif. Le premier est le plus propre et le plus beau ; il a des palais qui ont la richesse orientale : ceux des gouverneurs de Tanger, de Mogador, le palais d’Arsini, l’opulent administrateur des douanes. Le quartier juif est livré au commerce et se compose de petites boutiques. Au moment où les Espagnols entraient à Tetouan, la ville portait partout la marque des excès de la soldatesque et du départ précipité de beaucoup de familles arabes. Quand on pénétrait dans ces maisons aux gracieuses entrées mauresques protégées par des vignes, à l’architecture intérieure dentelée, au pavé de mosaïques de couleur, on retrouvait les traces d’une fuite récente, les éventails de sandal, la petite mandoline, les babouches des femmes ; on respirait dans une atmosphère de parfums. Les Juifs étaient restés ; ils avaient été les premiers à se précipiter au-devant des Espagnols en se plaignant du pillage, des violences des Maures, qui étaient réelles, affectant une misère qui n’était que fictive. Ils avaient quelque peur d’abord et ils criaient : Vive la reine ! vivent les Espagnols ! Bientôt ils reprirent courage et se livrèrent de nouveau à leur humeur commerçante. Ils aimaient l’armée et ils avaient raison, car ils faisaient avec elle de bonnes affaires. C’était une population craintive, habile et obséquieuse.

Quand le général Rios prit le gouvernement de Tetuan, il voulut