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brutaux. Les causes morales qui viennent contre-balancer les influences purement physiques peuvent donc être réglées à leur tour par des principes permanens qui ne sont en réalité que des lois ; ces lois, en se combinant avec celles du monde matériel, fournissent les élémens qui assignent la marche d’une société, et permettraient, si elles étaient connues, de tirer l’horoscope des individus. La statistique morale tient compte de tous ces élémens ; elle les décompose, elle examine séparément l’action de chacun. C’est par l’étude de ces élémens qu’il lui faut débuter, et c’est à peine si elle commence à entrer dans cet ordre d’observations.

De tous les savans qui se sont voués à l’étude de la statistique dans notre pays, M. Guerry est assurément celui qui a poussé le plus loin la rigueur et la patience des recherches. Il a réuni pour une période de près de trente années, tant en France qu’en Angleterre, un nombre prodigieux de faits que lui ont surtout fournis les registres des tribunaux ; il a représenté par des courbes[1] la marche des différens genres de criminalité dans les deux pays, de façon à rendre sensible aux yeux la nature des variations par lesquelles a pour ainsi dire passé la moralité publique. Prenant pour étalon de mesure le chiffre de 10,000 crimes commis par des individus de l’un ou l’autre pays, il a calculé, en relevant d’innombrables dossiers, pour quelle proportion entre chaque crime d’une nature déterminée, soit en considérant une certaine période d’années, soit en comparant entre elles les diverses parties des mêmes années. Il a cherché entre les variations de criminalité des différentes divisions d’un territoire le chiffre qui peut représenter la moyenne de la criminalité, et il a rapporté à cette moyenne les différens nombres obtenus, de manière à juger de la moralité relative de tel ou tel département, de tel ou tel comté. Toutefois il lui a fallu d’abord établir une nomenclature fixe, une classification générale des infractions qui permît de les ranger selon l’ordre de gravité et sous le rapport de la répression[2]. Cela fait, il a pu ensuite chercher la distribution géographique des crimes et délits, leur répartition pour tout le territoire selon les saisons et la température, leur distribution sous le rapport du sexe et de l’âge. Il est arrivé enfin à des tableaux où sont classés les crimes susceptibles d’être connus et constatés, suivant les motifs qui les ont déterminés : dernière et difficile enquête dans

  1. Ces courbes, dont l’emploi est emprunté aux mathématiques, sont les lignes qui réunissent la suite des points correspondant à la succession des années ; la hauteur à laquelle les points sont respectivement placés est proportionnelle au chiffre de criminalité de chaque année.
  2. M. Guerry a pris comme base de ses calculs, non le chiffre des condamnations, mais celui des accusés, parce que, s’il peut y avoir quelque doute sur la culpabilité des prévenus, il n’y en a aucun sur la réalité des crimes.