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le cas pour la Russie[1]. Le suicide a été d’ailleurs parmi nous le contre-coup des révolutions, des crises qui ont atteint tant de fortunes et si cruellement dissipé tant d’espérances. C’est ce que nous a fait voir récemment M. A. des Estangs dans un curieux ouvrage intitulé Du Suicide politique en France depuis 1789 jusqu’à nos jours. Le savant médecin, qui a entrepris depuis plusieurs années des études statistiques et morales sur la mort volontaire, et qui s’est livré à des investigations fort étendues, a tracé l’historique de tous les événemens qui ont pu conduire au suicide les individus dont ils ont détruit la position, amené la ruine, anéanti les illusions ; il a cherché à saisir le caractère présenté par le suicide aux différente, époques. Après avoir reconnu les influences permanentes où le suicide se montre comme la conséquence d’un état morbide, il a énuméré les diverses circonstances accidentelles tenant au milieu social qui en ont accéléré ou atténué la fréquence. On ne saurait titrer des faits recueillis par M. des Estangs, et qu’il retrace avec une grande vivacité de pinceau, une conclusion véritablement statistique. Ce qui apparaît clairement dans son livre, c’est que les doctrines chimériques dont tant d’esprits se sont nourris depuis 1789 ont eu une influence fatale, et ont singulièrement contribué à augmenter le nombre des morts volontaires. Ces suicides, qu’on peut appeler politiques, eurent pour cause la peur éprouvée par les vaincus d’être frappés par les vainqueurs ; elle est venue presque toujours se joindre au chagrin de l’insuccès pour pousser l’homme au désespoir. La liberté, en laissant à nos idées toute carrière et en permettant aux imaginations faibles et enthousiastes de rêver un progrès irréalisable, place en apparence les esprits dans des conditions meilleures. L’homme espère et attend ; mais vienne le jour sur lequel il a compté pour la réalisation de ces rêves, la déception n’est que plus cruelle, et alors le nombre des suicides politiques qui avait diminué se multiplie. C’est là ce que montre surtout M. des Estangs. Pour apprécier la véritable part qui revient aux événemens politiques dans la marche générale du suicide, il faudrait, comme pour les maladies mentales, déterminer avant tout si c’est seulement le caractère de cet attentat qui change aux époques de libre essor, et si le chiffre total des morts volontaires est indépendant de l’action compressive. Suivant les temps, la folie se porte sur tel ou tel ordre d’idées ; celui qui est déjà prédisposé à perdre la raison n’attend pour ainsi dire qu’une occasion d’ébranlement : que cet ébranlement soit dû à des crises politiques, les aliénés manifestent surtout dans leur délire la pré

  1. Le docteur P. Mantegazza nous dit, dans ses Lettres médicales sur l’Amérique, qu’il n’a rencontré aucun aliéné chez les Indiens, et il a constaté la rareté de la folie dans la république argentine