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peu de sa brutalité dans l’emploi des moyens, si une bonne police rend moins communs les vols de grands chemins, les vols avec circonstances aggravantes, les voleurs ne s’amendent pas et cherchent à commettre d’autres actes qui échappent plus facilement à la surveillance de l’autorité. En France, l’abus de confiance justiciable des cours d’assises et de la police correctionnelle, le vol simple, le faux en écriture de commerce, l’escroquerie, sont dans une progression qu’on ne saurait méconnaître. En Angleterre, la même marche ascendante se remarque pour l’abus de confiance et l’escroquerie, le vol domestique, le faux témoignage et la subornation. Il faut ajouter, et c’est là une preuve de l’excellence de notre administration française, que la concision et la corruption des fonctionnaires ont été en décroissant jusqu’en 1854, sauf en 1840, où le chiffre annuel s’éleva exceptionnellement presque à celui des années de maximum 1827 et 1828.

Cette permanence de la criminalité, tout affligeante qu’elle soit, n’a rien cependant qui doive nous surprendre : elle résulte de la constance même de la constitution du cœur humain. Les chiffres, dont les témoignages sont plus forts que les théories, nous révèlent sans l’influence des conditions sociales, l’efficacité contre certains rimes et délits des moyens de surveillance et de répression ; mais ils montrent aussi que la perversité de notre nature emploie toutes les voies qui lui restent ouvertes, et que, lorsque la grande route est fermée, elle se glisse par des chemins détournés. Comme le prétend le dicton populaire, le diable n’y perd rien, nous changeons de peau, non de nature, et si notre écorce est moins raboteuse et moins rude, elle cache dans son tissu des aiguillons qui ne blessent pas moins mortellement que les fortes épines d’un bois plus noueux ; notre âme, en dépit des formes adoucies dont elle se pare, ne se montre au fond ni plus pure ni plus désintéressée. La constance de ces penchans criminels qui se métamorphosent, mais ne se suppriment pas, n’est que le reflet d’autres lois de la société, que la statistique a également mises en lumière. Ainsi que l’écrivait dernièrement un de nos statisticiens les plus consciencieux et les plus exercés, M. Villermé, il suffit de comparer les chiffres qui indiquent le mouvement des mariages, le rapport de l’âge et de la condition des conjoints en des pays placés dans une situation à peu près identique, tels que la France et la Belgique, pour se convaincre qu’ils sont régis par de véritables lois, « lois tacites si l’on veut, mais qui ne tombent point en désuétude et qui gouvernent la société bien plus sûrement que les lois écrites dans nos codes. » On est frappé surtout de voiries mêmes faits se présenter partout et toujours aux mêmes époques de la vie, avec les mêmes tendances et pour ainsi