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ceux qui disparaissent. Les hommes d’état seront ainsi en possession de méthodes plus sûres pour arriver à agir sur la société, parce qu’au lieu d’être fondées sur une observation individuelle, nécessairement incomplète, elles reposeront sur l’autorité des faits. La politique est une sorte d’hygiène sociale qui doit, comme la médecine, se fonder sur la connaissance des phénomènes de la vie ; mais, sous prétexte de lui imprimer un caractère vraiment scientifique, il ne faut pas commencer par poser à priori des faits qui n’ont point encore été suffisamment constatés.

De même que la connaissance des lois physiques nous fournit les moyens de nous approprier les phénomènes pour les appliquer à un but utile, de même, les lois morales une fois connues, il sera possible de diriger la société dans des voies où nos passions et nos penchans trouvent leur satisfaction légitime, en échappant davantage aux influences qui les pervertissent. Jusqu’à présent on a, comme les médecins qui ne s’appuyaient pas sur la physiologie, procédé empiriquement ; on a cherché le remède sans s’être assuré de la marche du mal, et attribué à certaines formes de gouvernement et d’institutions une force morale dont elles sont dépourvues. La société, qui a fait tant de progrès matériels, n’est encore en possession que des moyens d’établir un ordre apparent. Quant au perfectionnement des individus, il faut reconnaître qu’il a été peu sensible : nos mœurs se sont adoucies à certaines époques ; mais tandis que la brutalité sortait par une porte, le vice rentrait par l’autre. La statistique montre que l’instruction n’est pas tout, et que, pour avoir un véritable thermomètre du progrès moral, il faudrait encore trouver des moyens de mesurer l’éducation. Trop souvent ces mots ont été confondus, quoiqu’ils expriment deux idées distinctes. On peut avoir un grand cœur avec une intelligence faible, et une forte intelligence avec une âme débile. Sans doute l’éducation implique toujours un certain degré d’instruction, car on ne saurait remplir ses devoirs sans les connaître ; mais la connaissance ne suffit pas en soi-même pour accomplir le bien : si elle est appliquée au mal, au lieu d’améliorer, elle corrompt. L’adoucissement des mœurs n’est pas non plus la conséquence nécessaire du progrès moral ; il peut n’être qu’un affaiblissement de l’énergie du caractère, et ce que nous prenons alors pour de la vertu n’est que de la faiblesse. Quand la civilisation ne fait que multiplier nos désirs au-delà des limites où il nous devient difficile de les satisfaire honnêtement, elle ne produit point un progrès, mais une sorte de décadence.

La statistique prouve que l’état moral de la société naît du concours d’un certain nombre de causes principales dont elle doit calculer séparément les effets ; ce sera au législateur de trouver les moyens de les combiner en vue du meilleur résultat possible. Les unes, toutes