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premiers partis furent donc réunis dans les salons de M. Spinelli. Il ne faut pas oublier que le ministre sarde, M. de Villamarina, sans paraître dans la réunion, en attendait le résultat dans une pièce voisine. M. Spinelli avait espéré qu’un certain accord pourrait se produire au moins sur quelque mesure temporaire et de transition entre ces fractions diverses, et cherchait naturellement dans cet accord la garantie du maintien de l’ordre pendant l’interrègne ; mais il fut impossible aux partisans de l’annexion immédiate et aux partisans de la dictature pure et simple de Garibaldi de s’entendre sur quelque moyen terme. Le débat devenait plus bruyant et plus irritant, la scène de plus en plus orageuse, lorsque M. Spinelli, désespérant d’obtenir une conclusion, envoya secrètement à Garibaldi, qui était encore à Salerne, une dépêche où il le pressait d’arriver à Naples. Cette dépêche décida le général, qui promit d’entrer le 7, et fut mis ainsi en mesurent en demeure de réaliser la prophétie qu’il avait faite quelques jours auparavant touchant la date de son apparition dans la capitale. Il est impossible d’oublier ici un curieux détail de cette révolution napolitaine. Les forces de Garibaldi n’étaient pas aussi rapprochées de Naples que le croyaient les ministres et la population. C’est le télégraphe électrique qui avait produit l’erreur de l’opinion. On fera bien de prendre garde désormais au rôle révolutionnaire qu<S peut jouer la télégraphie électrique. Ces dépêches sommaires, saccadées, sont pour ainsi dire des coups de fouet donnés aux imaginations, qui démoralisent les unes et exaltent les autres : elles sèment la surprise et précipitent ce rapide travail, ces brusques reviremens, que les événemens révolutionnaires accomplissent dans les esprits ; mais à l’action naturelle du message électrique s’était ajouté pour Naples l’effet d’une curieuse ruse de guerre. Un de ces Anglais qui cherchent auprès de Garibaldi l’amusement de l’aventure avait corrompu un des agens du service télégraphique, et par son entremise faisait parvenir à Naples, sous le nom de l’intendant de la province, de faux bulletins sur les mouvemens de l’armée garibaldienne. Trompé par de frauduleuses dépêches, on croyait à Naples que les volontaires arrivaient, tandis que, non ralliés autour de leur chef, ils étaient encore à cinquante milles. La dissolution du gouvernement royal se trouva ainsi en avance sur les nécessités résultant de l’imminence réelle du péril. C’est ce qui explique comment Garibaldi a pu arriver à Naples le 7, et pourquoi il a été obligé d’y entrer sans ses troupes, qui étaient encore loin derrière lui.

Au témoignage des bons observateurs, ce qu’il y a eu de plus remarquable dans l’entrée à Naples de Garibaldi, c’est la physionomie du héros lui-même. Ce visage qu’enflamme une noble passion, ce front que remplit une grande pensée, étaient visiblement assombris d’une involontaire tristesse. Le dictateur sentait qu’il s’avançait dans une masse en décomposition, non au milieu d’un mâle enthousiasme populaire ; il souffrait de voir dans son cortège la plus basse populace. Les amères pensées naissaient naturellement de son trop facile triomphe. Déjà il était à peu près délaissé par la Sicile, qui,