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il ne peut rester maître de la conduite du mouvement qu’à la condition d’en subir l’impulsion et d’en poursuivre le but. C’est pour cette raison que nous le considérons comme entraîné fatalement vers une guerre prochaine avec l’Autriche. Sans méconnaître les immenses dangers qu’une telle guerre fera courir à l’Italie, il faut convenir que toutes les chances sont loin de lui être contraires dans cette téméraire aventure.

D’abord il est vraisemblable que le Piémont pourra terminer l’occupation des états de l’église avant que n’éclate une telle guerre. Les qualités militaires de l’illustre chef de l’armée pontificale sont des plus éminentes sans contredit, mais a-t-il réellement dans la main des troupes solides ? Pourra-t-il, au milieu d’une population malveillante, résister aux forces si supérieures qu’on lui oppose ? Le succès d’un engagement pourrait-il changer l’issue finale d’une lutte si disproportionnée ? Le pape lui-même, en présence de l’inutilité d’un tel effort, consentira-t-il à autoriser l’effusion du sang, et ne peut-il pas, comme le roi de Naples, céder à la violence matérielle et morale qui lui est faite, en protestant, en réservait ses droits, mais en épargnant les vies qui sont prêtes à se sacrifier pour sa cause ? Si l’on ne considère que la résistance que le pape peut opposer à l’invasion il ne semble pas que l’entreprise piémontaise doive être sérieusement traversée. En dehors du pape, quelles oppositions rencontrera le Piémont ? Des oppositions morales, et probablement pas d’autres. Parmi ces oppositions, il, en est une qui aurait dû être efficace, celle de la France ; on dit qu’elle a été énergique : elle est allée jusqu’au rappel de notre ministre à Turin ; mais il n’a pas convenu au Piémont d’en tenir compte. M. de Cavour reconnaît que nous avons raison, à notre point de vue, de dégager notre responsabilité diplomatique ; mais il s’est engagé en nous prévenant trop tardivement pour avoir encore le temps de céder à nos représentations et de revenir sur la résolution prise. Nous protégerons le pape avec douze mille hommes ; nous serons placés dans la position dont nous évoquions récemment la perspective ; nous serons non assiégés, mais enveloppés dans Rome, et il n’est pas-même probable que nous profitions de l’avantage que nous offre la courtoisie de M. de Cavour, lorsqu’il promet que devant l’uniforme français les Piémontais se retireront, pour montrer notre drapeau à Ancône. L’Autriche, menacée de si près, agira-t-elle ? Nous ne le pensons pas. Elle ne prendrait pas le parti d’intervenir sans en informer d’avance notre gouvernement, et sans doute notre gouvernement userait de toute l’influence qu’il possède sur elle pour la détourner d’une action qui, bien que défensive au fond, aurait pourtant l’apparence d’une agression. Certes le Piémont côtoie de très près la guerre avec l’Autriche en entrant dans les Marches ; il est pourtant possible qu’il s’empare des états pontificaux en évitant l’écueil qu’il effleure.

On ne saurait en tout cas supposer que le roi Victor-Emmanuel et M. de Cavour aient eu la pensée de porter un tel coup sans accepter dans leur résolution la chance d’une guerre immédiate avec l’Autriche. Ils sentent