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en donne ma parole d’honneur ; je ne l’ai même pas vu depuis son retour, si ce n’est une seule fois, avec tout l’Institut. J’ai fait un voyage de pur agrément, j’ai pris comme j’ai pu quelques informations qui n’intéressent en rien la Suisse et uniquement relatives à ma patrie ; j’y retourne avec l’empressement que doit avoir tout bon Français lorsqu’elle est menacée. J’espère, monsieur, que vous ne me retarderez pas, que vous reconnaîtrez qu’on vous avait mal instruit, et qu’enfin ceci se bornera pour moi à me procurer l’honneur de vous rendre mes devoirs.

Il sourit sans répondre, me pria de m’asseoir, s’assit lui-même, leva le cachet de mon portefeuille, et l’ouvrit. Il avait devant lui la lettre de M. de Clouts, il y jeta de nouveau les yeux, et, conformément sans doute aux indications qu’elle lui donnait, il visita très légèrement la plus grande partie de mes papiers, ne me fit aucune question, et ne s’arrêta enfin qu’au mémoire, qu’il se mit à lire aussitôt et qu’il parcourut tout entier. Cela dura un bon quart d’heure, sans que je pusse voir sur son visage immobile et tout à fait ministériel le moindre signe d’une impression quelconque, et sans qu’il laissât échapper une parole, excepté dans deux seuls endroits. Le peu qu’il me dit me parut remarquable, et comme je l’observais en même temps qu’il m’étudiait lui-même, ce peu de mots, je ne les ai pas oubliés. En parlant des différens partis qui divisaient la France, je disais du duc d’Orléans qu’il avait montré de bonnes qualités, mais peu de capacité et d’énergie. — Vous croyez donc, messieurs les Français, dit-il, mais sans lever les yeux de dessus le papier, qu’il faut avoir un grand génie pour être un bon roi ? Je crois que vous vous trompez beaucoup. — Et il continua sa lecture.

Dans un autre endroit où il était question de l’établissement des Bourbons comme de l’objet que se proposaient les puissances : — Et qui vous a dit, demanda-t-il, mais toujours sans me regarder, que ce sont les Bourbons que l’on veut remettre sur le trône ?

— Tout paraît l’annoncer, répondis-je.

— Je n’en sais pas autant que vous. — Et il continua de lire comme auparavant.

Il acheva sans paraître affecté dans aucun sens de ce qu’il avait lu, et sans en dire ni bien ni mal. Il reprit ensuite d’autres papiers, mais seulement pour la forme ; puis, se levant enfin : — N’avez-vous pas, me demanda-t-il, quelque autre portefeuille, carton ou serre-papiers, dans votre voiture ou dessus, et ne s’y trouve-t-il pas d’autres pièces, mémoires, observations, notes ou renseignemens ?

Je l’assurai qu’il n’y en avait aucun. — Je dois vous prévenir, ajouta-t-il, que je vais être obligé d’y ordonner une visite ; ainsi il vaudrait mieux en faire la déclaration.

— Je n’ai, monsieur, repris-je, rien à déclarer ; faites faire toutes