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soyez pas généreux à demi. Je n’ai ni le désir ni le pouvoir d’y nuire en rien à la Suisse, et quand je le pourrais, le service que vous m’aurez rendu m’en ôterait la volonté.

Après un instant de silence : — Toute notre conversation, reprit-il, m’a vivement intéressé et m’a donné une forte envie d’obtenir pour vous grâce entière. Je ne sais si j’y pourrai réussir, mais je vais faire mon possible.

Il se leva, j’en fis autant. — Voilà, lui dis-je, monsieur le baron, un nouveau trait de générosité et une résolution dignes de vous.

Sans écouter mes remercîmens ni rien ajouter à ses promesses, il me demanda mon passeport. — Remettez-le-moi, dit-il ; il ne faut quelquefois qu’un bon moment pour obtenir ou une signature, ou la permission de donner la sienne.

Je lui remis avec empressement ce qu’il me demandait. — C’est bien, reprit-il, vous ne tarderez pas à recevoir de mes nouvelles. Je serai ici à cinq heures précises, et j’espère que vous serez content.

Le bon M. Schnell fut très exact au rendez-vous que je lui avais donné ; il vint un peu avant deux heures. Il était fort ému, et son émotion était de la colère. « Qu’est-ce donc que tout cela signifie, dit-il, et qu’est-ce que ces gens-là osent se permettre contre vous ? » Je le priai de se calmer, le fis asseoir et lui contai de mon aventure tout ce qui concernait la Suisse, en prenant soin, comme je le devais, de taire ce qui regardait la France. Je dis que, quoique l’on eût eu la preuve de la fausseté des délations faites contre moi, la crainte des rapports que je pouvais faire verbalement en France expliquait toutes ces précautions et ces sévérités, que la rage aristocratique contre un ami de Laharpe y entrait pour beaucoup, qu’il en résultait une prohibition de rester en Suisse comme de retourner en France qui me mettrait dans une position fort embarrassante si l’on y persistait, mais que j’avais trouvé dans le conseil même qui me traitait si durement un puissant protecteur, et que j’espérais beaucoup de la chaleur qu’il mettait à me défendre. Alors je lui confiai sous le sceau du secret la visite de M. de Castella, l’appui inattendu que je trouvais en lui, et les efforts qu’il faisait sans doute en ce moment pour obtenir mon entière liberté.

— C’est un brave homme, répondit-il, mais il ne réussira pas ; ils ne vous permettront pas de retourner en France : c’est tout au plus si vous pourrez rester en Suisse. Quelle honte pour eux ! ajouta-t-il en se levant et se promenant à grands pas ; l’auteur de l'Histoire littéraire d’Italie arrêté en Suisse, traité indignement, obtenant pour toute grâce, si encore il l’obtient, de rester sous leur surveillance et en leur pouvoir ! Mais que M. de Castella emporte seulement ce point-là, et laissez-nous faire. Vous demeurerez à Berne, on vous