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jet au vaisseau à grande puissance : elle a cru longtemps que les petits moteurs suffiraient et que la vapeur ne serait qu’un auxiliaire de la voile. Les premières transformations ont eu lieu sous l’empire de ce sentiment ; on a commencé par des machines insuffisantes pour arriver peu à peu à des machines d’une force mieux appropriée. On ne saurait douter que ces inégalités ne soient un embarras et une cause d’affaiblissement ; l’uniformité de marche est en marine un idéal qu’on a toujours poursuivi sans jamais l’atteindre. Sané l’avait en vue dans ses modèles, et c’est de tous nos constructeurs celui qui s’en est le plus rapproché. Avec la voile, le problème était presque insoluble ; avec la vapeur, quelques difficultés disparaissent. De singulières anomalies ont pourtant marqué nos derniers essais. Dans le type le plus général de notre flotte, le vaisseau de 90 canons animé d’une force de 900 chevaux, des inégalités notables ont été relevées entre vaisseaux de même armement et de même puissance de vapeur. En escadre, l’Algésiras prenait toujours la tête ; l’Arcole, l’Impérial, l’Eylau, le Redoutable ne pouvaient le suivre qu’à distance ; il y avait entre eux un écart d’un, deux et jusqu’à trois nœuds ou milles par heure. À quoi cela tenait-il ? Nos officiers en étaient fort préoccupés, le capitaine Labrousse entre autres, qui depuis a été nommé contre-amiral. Il regarda de près au détail des machines, changea les dispositions des tiroirs, supprima, par des combinaisons ingénieuses, des frottemens qui nuisaient à l’effet, et parvint, pour plusieurs vaisseaux, à rétablir à peu de frais le degré de vitesse que régulièrement ils devaient a voir. C’est ainsi et à la longue, par de patientes observations, par des amendemens heureux, qu’à cette marine qui naît on pourra donner la vigueur et la précision dont elle est susceptible. Après tout, les Anglais ont eu aussi de graves mécomptes ; on remplirait des pages à en fournir des preuves. Ils en ont eu dans les formes, dans les capacités, dans la stabilité, dans la marche des bâtimens. Des millions ont été jetés dans des expériences qui n’ont point abouti ; la liste de leurs avortemens est plus longue que la nôtre. Pour eux aussi, il y a, dans les vaisseaux, de saillantes inégalités de vitesse. Le Royal-Albert et le Victoria portent le même armement, 121 canons ; le premier n’a que 500 chevaux de force, le second en a 1,000 ; l’écart est considérable, on le voit. Les Anglais en sont, en marine, au même point que nous : ils cherchent, essaient et tâtonnent.

Un dernier fait qui a donné prise à des censures, ce sont les déconvenues qu’a essuyées le calcul de l’approvisionnement en combustible et les différences trouvées à l’essai entre les capacités présumées et les capacités réelles. La science était là en défaut sur son propre terrain. On a vu l’erreur imputée aux calculs faits pour la Bretagne, quinze jours de chauffe réduits à quatre ; la Gloire serait,