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suisse du roi au contrôle-général des finances, avait eu vent des favorables dispositions du conseil du commerce. Convaincu du succès réservé aux premiers établissemens qui allaient se créer, il s’était empressé de réaliser un petit capital, et il était venu proposer une association à ce jeune ouvrier de l’Arsenal, dont il connaissait l’intelligence et la probité. Celui-ci avait accepté l’offre ; mais, voulant attendre l’expiration de son engagement, il s’était fait remplacer provisoirement auprès de son associé par son jeune frère, Fritz, qu’il fit venir à Paris. Grâce à ce concours, l’atelier avait pu fonctionner dès l’apparition de l’édit. En arrivant dans l’établissement de Tavannes, Oberkampf, avec ce bon sens qui est le génie de l’industrie, s’aperçut que le quartier-général était mal placé. Pourquoi s’emprisonner dans un faubourg du vieux Paris où l’espace devait manquer au succès futur ? Ne valait-il pas mieux s’établir dans la campagne ? Là, on aurait plus de facilité pour s’étendre et la main-d’œuvre à meilleur marché. Tavannes donna son assentiment à cette manière de voir, et il se chargea d’explorer, en compagnie de Fritz, les environs de Paris. Après quelques excursions, ils avertirent Oberkampf qu’ils croyaient avoir trouvé un emplacement favorable. Comme c’était à lui qu’il appartenait d’en décider, un dimanche matin les trois compagnons se mirent en route, et arrivèrent en quelques heures à l’endroit indiqué.

A 4 ou 5 kilomètres de Versailles, entre une double chaîne de coteaux, boisés jusqu’au sommet, sur un point où l’étroite vallée s’élargit un peu, le village de Jouy en Josas occupe le pied d’une colline dont il gravit discrètement la première pente. Les prairies alternent avec les cultures, et partout les peupliers d’Italie profilent leur élégante silhouette. La Bièvre glisse sans bruit dans la vallée. C’est aujourd’hui un frais et riant paysage ; mais Jouy ne se composait alors que d’un petit nombre de maisons groupées autour de l’église et de quelques toits clair-semés dans des terres marécageuses. Le site plut tout d’abord à Oberkampf ; peut-être lui rappelait-il des souvenirs d’enfance. S’étant assuré que l’eau nécessaire à son industrie ne manquait point, et que l’établissement pourrait s’étendre sur des terrains dont la valeur n’était pas grande, sa détermination fut aussitôt arrêtée. Conseil pris, chose faite ; c’est la devise des hommes qui connaissent le prix du temps. Ayant aperçu une maisonnette placée au bord de la rivière et à laquelle attenait un lopin de pré, il y entra, suivi de ses compagnons, pour s’aboucher avec le propriétaire. Après de longs pourparlers, on finit par tomber d’accord, et la maisonnette, avec quelques perches de prairie pour l'étendage des toiles, fut louée à un prix modique pour neuf ans.

Quelque temps après, aidé par son frère et par deux imprimeurs suisses, Oberkampf fit lui-même le déménagement du chétif maté