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trouble ni dépit. « Le roi a raison, répondit-il, et nous profiterons de son conseil. »

Il existe un axiome en industrie, c’est qu’il faut avancer toujours, si l’on ne veut reculer. Le directeur de Jouy était pénétré de l’esprit de progrès, et on le voit continuellement à la recherche des perfectionnemens, soit qu’il fallût les créer, soit qu’on eût à les introduire de l’étranger. Ainsi c’est en 1770 que l’impression à la planche de cuivre fit sa première apparition en France. Ce fut une conquête faite par Fritz Oberkampf dans un voyage en Suisse. Dès cette époque, on substitua quelques moyens mécaniques aux procédés manuels, toujours lents et quelquefois défectueux. Jusqu’alors par exemple, on dégorgeait les toiles au sortir de la teinture en les battant au fléau sur un radeau fixé dans la rivière. Ce procédé primitif fut remplacé par une machine ayant pour moteur une roue hydraulique. La pièce principale était une énorme palette à claire-voie, qui donnait passage à la nappe d’eau tombant sur les étoffes pendant l’opération. La palette battait les pièces de toile pliées en botte sur une plate-forme qui allait et venait lentement. Dans la suite, cette machine fut modifiée. Deux battoirs agissaient alternativement sur une plate-forme circulaire tournant sur elle-même.

Telle était la situation de la manufacture en 1774, lorsqu’en présence d’une prospérité croissante, Oberkampf voulut associer une autre destinée à la sienne. Depuis longtemps il était en relations avec une famille protestante de Sancerre ; son choix s’y fixa sur une jeune fille que ses qualités d’esprit et de cœur rendaient digne d’être sa compagne. Le mariage d’Oberkampf et de Mlle Marie Petineau fut célébré à Paris en 1774. La maison de Jouy fut dès lors établie sur un grand pied. Mme Oberkampf était bonne musicienne. Les contremaîtres suisses aimaient d’instinct la musique, et le village n’offrait aucune ressource sous ce rapport ; mais il y avait à Versailles la chapelle du roi, composée d’artistes d’élite, dont plusieurs étaient Allemands. Oberkampf les invita à venir à la manufacture tous les dimanches de la belle saison. Dans ces joyeuses et familières réunions, on buvait largement à l’Allemagne et à la France. Au choc des verres succédaient bientôt les sons des instrumens, et les artistes étrangers exécutaient les œuvres des maîtres de leur pays avec autant de conscience et plus d’entrain que s’ils eussent joué devant la cour de Versailles. Dans cet honnête salon bourgeois ouvert à deux battans à la musique, on n’était point exclusif, et, sans la moindre prétention à l’esprit, on savait s’intéresser aux choses de l’intelligence et au mouvement des idées. La poésie elle-même y fit une solennelle apparition. Une honorable famille de Versailles présenta un jour à Jouy Ducis, qui, devant un cercle nombreux, donna lecture, avant la représentation, de sa tragédie d'Œdipe chez Admète.