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ge, tantôt les amis de sa jeunesse. En 1810, il perdit le dernier survivant de ses premiers compagnons d’œuvre. Ludwig Rohrdorf mourut le 25 septembre, à l’âge de soixante-neuf ans. C’était un honnête homme, bon et généreux comme devait l’être l’ami du maître dont il avait été, pendant près de cinquante ans, tout à la fois le commensal et le collaborateur. Il avait 150,000 francs d’économies placés dans la maison, et pour seuls héritiers un neveu et une nièce qui habitaient Zurich. Ceux-ci, informés de l’événement, au lieu d’accourir, selon la coutume, se contentèrent d’écrire à Oberkampf que, ne pouvant remettre leurs intérêts en des mains plus sûres que les siennes, ils le priaient de liquider la succession et de leur faire passer la part qui revenait à chacun. Quand on songe aux défiances et aux précautions que font naître les héritages, cette anecdote ressemble à un chant d’églogue.

Oberkampf était un de ces vaillans hommes que ne fatigue pas le poids du jour, et qui ne prennent leur retraite que lorsque la mort vient les relever de leur tâche. Vers la fin de la même année, il vit aboutir le projet conçu depuis longtemps de compléter son industrie, c’est-à-dire de prendre le coton en balle et de lui faire subir dans ses ateliers toutes les opérations, épluchage, filature, tissage, etc., jusqu’à sa finale métamorphose en toile peinte. Dans cette pensée, il avait, dès 1804, acheté près d’Essonne l’usine à tan de Chantemerle ; mais ce ne fut que deux ans après que fut construit l’établissement de filature. La mise en activité de la nouvelle manufacture eut lieu dans les derniers mois de 1810, sous l’habile direction de M. Louis Féray, qui avait épousé l’aînée des filles d’Oberkampf. Déjà important à son origine, cet établissement d’Essonne devait un jour s’élever au premier rang, grâce à l’esprit d’initiative de l’un des hommes les plus considérables de l’industrie française, M. Ernest Féray, petit-fils du directeur de Jouy. Dans le voisinage d’Essonne, sur le territoire de Corbeil, il y avait encore une autre usine appelée l’Indienne, et qui était une succursale de Jouy pour l’impression des toiles communes. Oberkampf l’avait autrefois achetée pour y installer son frère, qui avait manifesté le désir d’être aussi chef de maison. Lorsque Fritz, qui était philosophe, avait voulu se retirer des affaires, le frère aîné avait été là pour se charger de la propriété au prix de 150,000 francs. Oberkampf, qui, malgré son âge avancé, avait conservé l’activité de la jeunesse, faisait de fréquentes apparitions dans ces deux établissemens.

Nous avons indiqué les faits principaux de la rénovation technique opérée dans la seconde époque de la manufacture. Jusqu’au dernier moment, on peut suivre cette évolution. Ainsi nous voyons en 1813 fonctionner une machiné qui imprime deux couleurs à la fois ; elle fut construite sur les dessins rapportés d’Angleterre par