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mais la mort de Samuel Widmer, survenue en 1821, fut le signal de la décadence. M. Émile Oberkampf voulut se donner un associé pour combler le vide fait par cette perte. Le nouveau-venu était un fabricant de Rouen. Quelques mois suffirent à l’héritier d’un demi-siècle de gloire industrielle pour s’apercevoir de la divergence d’idées introduite dans la maison. Très intelligent, mais ami du repos, que lui conseillait d’ailleurs la délicatesse de sa santé, il céda en 1822 tous ses droits sur l’établissement paternel à son associé, et se retira des affaires pour vivre dans ses terres.

La prospérité de Jouy semble attachée au nom d’Oberkampf. Ce nom disparu, l’ombre envahit peu à peu la grande manufacture. Vainement le nouveau possesseur, après un premier essai personnel, mit-il l’affaire en société par actions ; rien ne put donner une impulsion nouvelle à l’établissement dont l’âme avait disparu, et, cédant la place aux florissantes manufactures de l’Alsace, la société de Jouy opéra sa liquidation. Cet événement, cruellement ressenti dans la localité, qui voyait ainsi tarir la source de travail ouverte depuis si longtemps, ne pouvait être à cette époque, au point de vue de la production générale, qu’un fait insignifiant au milieu du mouvement d’expansion de l’industrie des toiles peintes. La vie qui avait animé l’établissement d’Oberkampf s’était répandue dans toute la France. Rouen jetait dans la consommation des masses d’indiennes de qualité commune, et l’Alsace accroissait toujours la fabrication des toiles fines et des mousselines imprimées. Chose singulière, cet art de l’impression sur étoffes, une des industries où le goût français est le plus vivement empreint, nous en devons la naturalisation chez nous à un étranger, et quant aux progrès accomplis depuis, ils sont surtout dus à une ville, la dernière venue dans la grande famille nationale. Mulhouse est la reine de la toile peinte comme Lyon est la reine de la soie. De puissantes maisons y ont accru à chaque génération leur célébrité héréditaire : qui ne connaît le nom des Dollfus et des Kœchlin ? À Mulhouse fourmille une légion de dessinateurs et de graveurs, véritable école d’art dont les essaims se répandent jusqu’en Russie, car leur habileté est bien connue à l’étranger. Toutes les améliorations dans l’outillage ont été poursuivies sans relâche. La perrotine, qui imprime trois couleurs à la fois, la machine à imprimer et à rentrer plusieurs couleurs, qui est due à M. U. Troublé, les machines anglaises, tout a été expérimenté. Une machine de M. André Kœchlin, imprimant huit couleurs, figurait à l’exposition universelle de 1855. L’esprit d’invention s’est aussi porté sur quelques opérations accessoires telles que le grillage et l'essorage. On sait que les fils de coton sont recouverts d’un duvet qui, après le tissage, se montre à la surface de l’étoffe. Le grillage détruit ces filamens qui nuiraient à la netteté de l’impression. On flambait