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comme est l’affaire de Syrie, au fur et à mesure qu’elles se présenteront, en s’employant à débarrasser le terrain des incidens de moindre importance jusqu’au jour où, le dénoûment suprême s’étant produit, chacun saura du moins, s’il est obligé de combattre, ce que valent au juste ses prétentions, ses alliances et les intérêts qui lui feront prendre les armes. Nous n’en sommes pas là heureusement, j’espère même faire voir qu’il est possible d’ajourner cette éventualité cruelle, et l’affaire de Syrie va encore ici me servir d’exemple, comme étant à la fois et la plus pressante et celle qui peut nous aider, si elle est bien conduite, à rentrer par le détail dans l’ensemble de la question d’Orient.


I.

A propos de la Syrie et des moyens d’y établir un gouvernement acceptable, les Anglais ont donné largement carrière à leur esprit si fertile en combinaisons pratiques. Dans leur pays, où non-seulement la parole appartient en droit à tout le monde, mais où en fait chacun croit remplir un devoir en se servant de la parole toutes les fois qu’il a quelque chose à dire, les solutions proposées pour le problème qui nous occupe ont été innombrables, et chaque jour en voit encore se produire. Il y a même plus, c’est que le même personnage où le même journal ne se fait aucun scrupule d’en soumettre plusieurs au public. Les bonnes gens qui chez nous se prennent pour de profonds politiques ne manquent pas d’ordinaire de signaler cette variabilité de l’opinion anglaise comme une preuve de son machiavélisme, tandis qu’on devrait y voir au contraire une preuve de sa naïveté. En Angleterre, il1 n’existe rien de semblable à ce que la jurisprudence officielle qualifie chez nous de vieux partis, il n’y existe que des partis très vivans, qui se disputent l’influence avec assez d’ardeur, mais qui ont l’avantage d’être tous d’accord sur le fond des choses, sur l’organisation de la société et des pouvoirs publics, sur tous les principes qui servent de base à la constitution même de l’état. Sur ces points, qui ne sont jamais discutés parce que personne ne les met en question, whigs, tories, radicaux, adeptes de l’école de Manchester n’ont qu’une manière de voir, et il en résulte que la discussion publique ne porté jamais que sur les moyens de faire les affaires du pays. Il en résulte aussi que, malgré la vivacité de la polémique orale ou écrite, il subsiste toujours entre les partis un fonds sincère de tolérance mutuelle qui sollicite toutes les imaginations, on pourrait dire toutes les fantaisies, à se produire librement et sans crainte ; sur le continent, on a des arrière-pensées ou l’on redoute de passer pour en avoir. Il en est tout autrement en